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Stéphane LECAT : « Des satisfactions, de la frustration et de l’ambition »

Jeudi 23 Août 2018 - 09:45

Avec quelques jours de recul sur l’évènement, retour en profondeur sur les Championnats d’Europe de natation en Eau Libre (Loch Lomond, Ecosse, 8-12 août 2018) avec Stéphane Lecat, directeur de la discipline à la Fédération Française de Natation.

Pour bien analyser cette compétition, reprenons les choses dans l’ordre chronologique. A votre arrivée en Ecosse début août, quels étaient vos objectifs sportifs pour l’équipe de France ?

La France avait terminé première nation mondiale l’an dernier aux Championnats du Monde de Budapest, nous nous devions donc d’avoir des ambitions élevées, même si le contexte cette année était bien différent. Notre leader féminine Aurélie Muller était absente, des nageurs comme Marc-Antoine Olivier ou Océane Cassignol avaient connu une saison perturbée par des blessures. Il y avait aussi une importante inconnue autour des combinaisons néoprène, rendues obligatoires du fait de la température de l’eau inférieure à 18°C. Même si nous avions réalisé des entrainements en lac de montagne lors du stage terminal à Font-Romeu, certains nageurs avaient du mal à s’y adapter et les repères étaient un peu brouillés.

Notre objectif sportif était donc de classer un maximum de nageurs dans les six premières places de chaque épreuve. Au final, en six courses individuelles, nous réalisons sept « top 6 » dont trois podiums, ce avec cinq nageurs différents, plus un podium sur le relais mixte. Le bilan d’ensemble est très correct.

Comment s’étaient déroulée la préparation terminale ?

Idéalement ! Nous avons passé trois semaines fantastiques au Centre National d’Entrainement en Altitude de Font-Romeu, dans d’excellentes conditions d’entrainement et d’accompagnement, avec à nos côtés Anaël Aubry et Robin Pla pour le suivi et l’optimisation de la partie physio de la préparation. Il régnait une vraie dynamique de partage entre tous, avec le staff, les nageurs de l’équipe de France seniors, mais aussi les Juniors qui terminaient leur préparation pour les Euro de Malte. L’ensemble du groupe a très bien travaillé pour se donner les moyens de réussir, avec professionnalisme et sens des responsabilités. Après un dernier passage par l’INSEP pour optimiser la récupération, chacun est arrivé en Ecosse avec le sentiment d’être bien préparé physiquement comme mentalement.

La compétition commence avec le 5 km dames, et malheureusement aucune des nageuses françaises engagées n’intègre le « top 6 » (Lara Grangeon 8e, Océane Cassignol 10e, Adeline Furst 11e).

Cette course d’ouverture a été très décevante pour nous. Nos nageuses ont commis l’erreur tactique de rester en retrait dans une position d’observation alors que les attaques décisives ont eu lieu très tôt, dès la première partie de course. Leur réaction a été trop tardive pour qu’elles puissent revenir jouer les premiers rôles. Elles ont plutôt bien terminé la course, mais trop loin de la tête. Les filles sont donc ressorties frustrées, car la forme était là mais pas le résultat.

La déception a été de courte durée, puisque l’on retrouve deux Français sur le podium du 5 km messieurs quelques heures plus tard (Axel Reymond 2e, Logan Fontaine 3e, Marc-Antoine Olivier 7e).

La grosse surprise est de retrouver Axel médaillé d’argent. J’ai été vraiment bluffé par sa capacité d’accélération et sa puissance dans le deuxième tour. Ce résultat valide tout le travail de vitesse réalisé à l’entrainement avec Magali Merino ces derniers mois, ce sont des pistes qu’ils devraient continuer d’explorer. Ce résultat le repositionne plus que jamais « dans le game » pour la qualification olympique sur 10 km qui se jouera dès 2019.

La troisième place de Logan est également à souligner à plusieurs titres. Il s’agit de sa première médaille internationale seniors en individuel, alors que rappelons-le il n’est encore que junior. C’est un vrai cap de franchi au plan sportif, auquel il convient d’associer son jeune entraineur Damien Cattin-Vidal, qui a mis en place une planification cohérente et intelligente dans le prolongement du travail effectué avec Éric Boissière ces dernières saisons. Symboliquement, cette médaille est un bel hommage pour clôturer une année difficile.

Pour Marc-Antoine, la combinaison néoprène a rendu la course compliquée. Avec ce matériel, il a rencontré des difficultés techniques et beaucoup subi les évènements. Cette absence de maitrise très inhabituelle l’a aussi poussé dans ses retranchements sur le plan mental. L’enseignement principal de cet échec est qu’il n’avait pas nagé suffisamment souvent avant ces championnats en combinaison néoprène pour s’y habituer en conditions de course.

Le programme de la compétition est intense, dès le lendemain, place à l’épreuve reine, le 10 km. Les Françaises réalisent un joli tir groupé (Lara Grangeon 6e, Lisa Pou 7e, Adeline Furst 16e).

Lara et Lisa ont toutes deux réalisé une très belle course. Elles ont su se faire violence pour tenir le groupe de tête le plus longtemps possible. C’est très positif pour l’avenir. N’oublions pas que Lara n’a pour l’instant qu’une année d’expérience en eau libre à haut-niveau. Et Lisa est encore junior, elle est d’ailleurs la mieux classée de la course dans cette catégorie, et l’on ne retrouve qu’une seule autre nageuse de moins de vingt ans dans le top 20. Avec cette performance, pas si surprenante au vu de la forme exceptionnelle qu’elle affichait ces dernières semaines à l’entrainement, elle s’ouvre de belles perspectives. Elle a franchi un vrai cap, du niveau junior au niveau « top 10 mondial » toutes catégories.

Chez les messieurs, pas de médaille sur 10 km, mais l’on retrouve un Marc-Antoine Olivier héroïque (4e, David Aubry 12e, Logan Fontaine 30e).

Comme sur le 5 km la veille, Marco s’est retrouvé en difficulté en début de course, mais cette fois-ci, il a su trouver des solutions au fil des tours, des ressources physiques et mentales insoupçonnées qui lui ont permis de retrouver sa nage et de remonter le peloton. C’est la marque des athlètes de grande classe ! David a fait une course d’action, en restant toujours bien placé. Malheureusement, il n’était pas à son top physiquement et il n’a pas pu tenir dans l’emballage final. Quant à Logan, le 5 km de la veille avait visiblement laissé des traces, avec la combinaison néoprène, il a ressenti une forte fatigue musculaire qui l’a empêché de tourner convenablement les bras.

Le surlendemain, c’est jour de relais. Après des courses individuelles parfois délicates, l’équipe de France (Lara Grangeon, David Aubry, Lisa Pou, Marc-Antoine Olivier) ne fait pas figure de favorite mais termine à une très belle troisième place.

Le contexte n’était pas évident. Il fallait préserver au maximum les nageurs des discours négatifs sur nos résultats qui pouvaient arriver à leurs oreilles. Comme toujours, nous avons composé le meilleur relais possible, en fonction de la forme du moment des nageurs de l’équipe de France. Par rapport au relais champion du monde en 2017, nous avons renouvelé 75% de l’effectif, en y intégrant une nouvelle junior. Nous étions loin d’être favoris, sur le papier des nations comme l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Italie, la Hongrie ou la Grande-Bretagne pouvaient sembler supérieures. Cette médaille de bronze à seulement une dizaine de secondes de la tête est donc une grande satisfaction. Tous les nageurs ont été irréprochables, aussi bien ceux qui ont nagé que ceux qui étaient hors de l’eau et qui ont été exemplaires dans l’accompagnement de l’équipe. Cette alchimie était indispensable pour que nous allions chercher cette médaille.

 

La compétition se clôture par le 25 km. Double surprise, on attendait Axel Reymond sur le podium (finalement 4e, David Aubry 15e), mais c’est Lara Grangeon qui ramène une médaille à l’équipe de France (3e, Lisa Pou 5e).

Pour Axel, champion du monde en titre, c’est une déception. Sans chercher d’excuse, car la concurrence était très forte, la combinaison néoprène a certainement nivelé les valeurs des concurrents, Axel n’a ainsi pas réussi à user ses adversaires au train comme il en a l’habitude. Ceci dit, il a peut-être aussi commis l’erreur tactique de penser plus ou moins consciemment qu’au vu de sa performance sur 5 km, il pourrait battre ses adversaires sur ses qualités de vitesse dans le dernier tour, ce qu’il n’a finalement pas été en mesure de réaliser. La défaite est toujours riche d’enseignements, je suis certain qu’il saura en tirer des conclusions positives pour l’avenir. Je n’oublie pas David, qui termine loin mais qui a nagé intelligemment et qui s’est accroché jusqu’au bout pour l’équipe de France.

Du côté des filles, Lara décroche sa première médaille internationale individuelle en eau libre, en respectant à la lettre la stratégie mise en place : nager à l’économie et attendre que le groupe des garçons rejoigne le groupe des filles dans le final pour se dévoiler et porter des accélérations. C’est une belle concrétisation pour elle, mais aussi pour Philippe Lucas et le staff qui l’a accompagnée durant le stage terminal, notamment Patrick Dreano. Quant à Lisa, elle a une nouvelle fois été étonnante, sur une distance où elle manque encore pourtant d’expérience.

Quels enseignements tirer de ces Championnats d’Europe 2018 ?

Comme je le répète souvent, il y a toujours du positif à retirer des expériences qui semblent négatives. C’est aussi dans la défaite que l’on construit ses futures victoires. Prenons l’exemple de Marc-Antoine Olivier, qui a été en grande difficulté sur le 5 km et sur le début de son 10 km. Il a su se remobiliser mentalement, trouver des ressources, s’adapter, pour progresser au fil des courses. Le jour du relais, c’est lui qui réalise le meilleur temps de tous les relayeurs engagés. Il ressort de ces championnats sans médaille individuelle, mais bien plus fort mentalement pour les échéances futures, car il sait désormais qu’il a cette capacité à surmonter les difficultés, quelles que soient les circonstances.

Le second enseignement est qu’il n’y a pas de révolution dans la hiérarchie internationale. Ce n’est pas une surprise de voir le Hongrois Kristof Rasovzsky concrétiser ses nombreux succès en Coupe d’Europe et en Coupe du Monde sur un grand championnat. Sur 10 km, Ferry Weertman est lui toujours souverain. Chez les filles, Sharon Van Rouwendaal, a réalisé une compétition magnifique, elle aurait pu repartir avec quatre titres sans son erreur de parcours sur le 25 km. L’équipe d’Italie est toujours redoutable, surtout chez les dames. La concurrence est donc forte. Et l’an prochain aux Championnats du Monde, cette adversité sera encore plus forte, avec notamment les nageurs américains qui ont réalisé d’excellentes performances en bassin cette saison.

Il faut bien garder à l’esprit que Ferry et Sharon sont des athlètes qui ont en eux un profond désir de victoire, ils veulent gagner chaque année, cette envie les habite, c’est leur projet de vie. Ils s’entrainent comme des fous, six heures par jour, sans relâche. Si l’on veut gagner des titres internationaux, la vérité se trouve dans le bassin d’entrainement, en salle de musculation et auprès des personnes du staff et de l’entourage prêtes à vous accompagner. Il n’y a pas de secret.

Quelles sont les pistes d’amélioration pour les nageurs de l’équipe de France pour être encore plus performants en 2019 ? On sait que cette année est cruciale pour la qualification olympique de 2020.

Les nageurs français sont ressortis de ces Championnats d’Europe avec des motifs de satisfaction, mais aussi de la frustration, du fait notamment de la combinaison néoprène qui a généré de la pénalisation mentale. Maintenant, ils ont tous envie de se remettre à bosser dur pour attaquer la saison prochaine. Si nous n’avons pas remporté de titres, nous terminons deuxième au classement des nations par points, c’est la preuve de la densité de notre équipe et de la solidité de son ossature.

Outre l’entrainement dans l’eau, je pense que nous devons travailler sur deux axes principaux pour nous améliorer. D’abord sur le facteur mental, qui est prépondérant pour franchir le pallier du très haut-niveau. Nous avons déjà mis en place des protocoles ponctuels au niveau de l’équipe de France avec la psychologue du sport Emilie Pelosse ces dernières saisons. Mais si un nageur a des ambitions olympiques, c’est aussi à lui de se donner les moyens de travailler sur cet aspect de manière régulière, tout au long de l’année auprès de professionnels. Le deuxième axe de travail concerne la préparation physique. Chez les filles notamment, par rapport aux meilleures mondiales, nous souffrons d’un déficit de puissance. Aujourd’hui, pour remporter un 10 km au niveau international, ce gain de puissance est impératif. Le challenge est donc à la fois mental et physique. Cela demande aux nageurs de l’investissement supplémentaire, mais cette responsabilisation est le prix d’un projet olympique cohérent et ambitieux. Nous avons la chance en France d’avoir pour référence une athlète qui maitrise ces aspects physiques et mentaux : Aurélie Muller. Elle a montré la voie de l’excellence et nous espérons qu’elle continuera à la montrer aux plus jeunes nageurs de l’équipe de France dans les mois et années à venir.

Pour réussir ce projet, les nageurs doivent aussi veiller à l’optimisation de la récupération et à la qualité de leur hygiène de vie. Le projet sportif doit être au centre du quotidien. Pas de manière exclusive, il faut savoir garder des espaces de liberté, mais ayant toujours conscience de ses priorités. Ce sont des conditions indispensables pour s’assurer d’une régularité à l’entrainement et pour se préserver des blessures. Cela est d’autant plus important quand on connaît les enjeux des deux années à venir. Plusieurs nageuses et nageurs français peuvent légitimement être médaillés olympiques, voire titrés, à Tokyo en 2020, mais à la condition sine qua non d’être pleinement investis dans leur projet.

D’un point de vue collectif, je conclurais en disant que pour réussir le projet d’excellence de l’équipe de France eau libre et son ambition olympique, ce projet doit être partagé et encouragé par l’ensemble des acteurs de la Fédération Française de Natation. Je suis convaincu que la réussite ne peut-être que collective et que chacun à son niveau d’action peut et doit y contribuer.

 

Recueilli par FL.

Photos : KMSP/S.KEMPINAIRE.

 

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