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Pentathlon moderne aux JO : "Cette discipline aurait pu disparaître..."

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C’est une nouvelle occasion de faire briller la sublime piste d’équitation située dans les jardins de Versailles. À partir de ce jeudi 8 août, le stade éphémère du château accueille les épreuves de pentathlon moderne qui se dérouleront sur quatre jours. Très populaire dans les pays d’Europe de l’Est, cette discipline créée en 1912 - qui réunit des épreuves d’escrime, d’équitation, de natation, de course et de tir - reste pourtant méconnue dans l’Hexagone, où elle n’est pratiquée que par un peu plus de 2 700 licenciés. Pour L’Express, l’historien du sport François Bourmaud décrypte les raisons d’un tel désamour des Français pour cette pratique, et analyse sa difficile implantation sur le territoire.

L’Express : En quoi consiste exactement le pentathlon moderne, et comment cette discipline s’est-elle développée en France ?

François Bourmaud : Ce sport a été créé par le baron Pierre de Coubertin, inventeur des Jeux olympiques de l’ère moderne, à l’occasion des Jeux de 1912. À l’époque, il s’inspire du pentathlon antique, qui réunissait les épreuves de lancer du disque et du javelot, le saut en longueur, la course et la lutte. Il remplace ces épreuves par l’escrime, le tir, l’équitation, la natation et la course : son idée était de s’inspirer d’une situation militaire dans laquelle un soldat se retrouverait esseulé derrière les lignes ennemies, et devrait se défendre avec son épée et son pistolet, partir à cheval pour regagner son régiment, traverser une rivière et courir sur le front.

Dans le contexte historique des années 1910, Pierre de Coubertin créé ainsi le sport "parfait" : il développe toutes les qualités militaires, et illustre très bien l’esprit du "gentleman amateur", cette notion selon laquelle les sportifs doivent exceller dans toutes les disciplines élitistes que sont la nage, l’équitation ou l’escrime, sans forcément se spécialiser dans une pratique spécifique. Le but est de montrer que l’on peut développer toutes les qualités physiques et morales, à travers une série de disciplines diverses et exigeantes.

Quelle est justement la résonance d’un tel sport dans le contexte historique de l’époque ?

On est alors en 1912, époque où la défaite de la France face à la Prusse en 1870 est encore dans toutes les têtes. Cela a été, pour beaucoup, un véritable traumatisme : la France traverse alors une crise existentielle après avoir dominé pendant longtemps une large partie de l’Europe, et l’unification de l’Allemagne à l’issue de cette guerre est vécue comme une humiliation pour les Français.

Toute une partie de l’élite française cherche un moyen de se régénérer, beaucoup d’intellectuels tentent de copier le modèle allemand, notamment sur l’éducation ou le système militaire. Mais Pierre de Coubertin fait partie de ceux qui considèrent que c’est plutôt du côté de l’Angleterre qu’il faut chercher, et considère que le sport est un outil essentiel de restructuration des élites britanniques. Il tente donc d’imiter cette stratégie, en renforçant la vigueur physique des élites nationales, dans une discipline associée à un ensemble de valeurs morales : le commandement, la prise de décision, la discipline, le goût du risque.

Pendant longtemps, ce sport a été considéré comme élitiste. Est-ce encore le cas aujourd’hui ?

En France, c’est en effet un sport qui a longtemps été pratiqué par les élites et les militaires français. Les deux fois où l’équipe de France a gagné la médaille de bronze (en 1968 aux Jeux de Mexico, puis en 1984 aux Jeux de Los Angeles, NDLR), elle était composée de militaires. Même chose pour Élodie Clouvel, qui fait partie de la gendarmerie nationale et a gagné la médaille d’argent en individuel aux Jeux de Rio de 2016. La discipline s’est tout de même démocratisée au fil du temps, avec un certain nombre de petits clubs qui ont ouvert en France, et le développement de centres d’entraînement professionnels extrêmement qualitatifs, comme l’Insep (l'Institut national du sport de Paris), le centre national d’entraînement en altitude de Font-Romeu, en Occitanie, ou les Creps (Centre de ressources d'expertise et de performance sportive) d’Aix-en-Provence et de Talence, près de Bordeaux.

Dans les années 1960, pour rendre le sport plus populaire, il a d’ailleurs été décidé que les athlètes ne participeraient plus aux compétitions avec leurs propres chevaux : c’est à l’organisation de fournir les montures, qui sont ensuite tirées au sort pour chaque pentathlète, qui doivent s’y adapter. Le fait que le sport soit intégré dans le giron fédéral entraîne par ailleurs une baisse du prix des licences : il faut compter 150 à 200 euros l’année pour s’inscrire dans un club de pentathlon moderne, ce qui rentre dans la moyenne des autres sports.

Comment expliquer, alors, un si faible nombre de licenciés en France ?

Malgré ces avancées, il existe encore des blocages pratiques. Pour s’entraîner au pentathlon moderne, il faut disposer d’une piscine, d’un stand de tir, d’une salle d’armes et de chevaux, ce qui est bien plus compliqué que se rendre au club de foot du coin ! D’un point de vue matériel, il s’agit d’installations et de structures assez coûteuses, ce qui prive toute une série de communes d’un club de pentathlon. La deuxième faiblesse de ce sport, c’est qu’il est malheureusement très peu médiatisé. Pendant longtemps, les épreuves ont duré cinq jours, nécessitaient beaucoup de moyens audiovisuels et d’explications pour comprendre le fonctionnement des compétitions, ce qui n’a pas aidé à sa télégénie. Enfin, chaque décennie a connu un grand champion ou une grande championne français de pentathlon moderne, mais aucun d’entre eux n’a gagné l’or, ce qui a contribué à invisibiliser la pratique.

Y a-t-il des pays où, à l’inverse, ce sport est plus populaire ?

Le pentathlon moderne est bien plus populaire dans les pays d’Europe de l’Est, comme la Hongrie, la Pologne, la République tchèque ou la Russie, parce qu’ils ont à la fois une forte tradition d’escrime et une tradition militaire très importante. La plupart du temps, les athlètes olympiques de ces nations sont d’ailleurs des militaires. Il y a aussi des pays, comme le Mexique ou l’Egypte, qui ont vu émerger cette tradition plus tard, toujours motivée par une tradition militaire très développée.

À la suite des coups de cravache et d’éperons donnés par la cavalière allemande Annika Schleu à son cheval aux JO de Tokyo durant les épreuves de pentathlon, il a été décidé que l’équitation ne serait plus présente aux JO de Los Angeles. Quelles conséquences pour les pratiquants ?

Ces maltraitances animales aux Jeux de Tokyo ont déclenché une vague d’émoi partout dans le monde, principalement sur les réseaux sociaux. La Fédération internationale a considéré que c’était sans doute le moment de transformer cette épreuve d’équitation, d’autant qu’elle était assez lourde en termes d’organisation. Il a donc été décidé qu’elle serait remplacée par un parcours d’obstacles pour les Jeux de Los Angeles, dans quatre ans. Dans un premier temps, cette décision a provoqué une levée de boucliers de beaucoup d’athlètes, qui estimaient que l’on changeait toute la philosophie de leur sport : il fallait faire preuve d’adaptation sur le cheval imposé, cela demandait beaucoup d’entraînements, avec des athlètes qui pratiquaient l’équitation depuis des années pour briller aux JO… Mais ces critiques ont vite été étouffées, puisque c’était tout simplement une question de vie ou de mort pour la Fédération. Sans ce compromis, la discipline aurait pu disparaître des JO. Historiquement, ce sera d’ailleurs intéressant de voir si le sport perdure dans les olympiades à venir.

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