Guy Roux raconte Djibril Cissé : « Un footballeur exceptionnel et un homme droit »
« Le proverbe des opposés qui s’attirent a vraiment marché ! ». Ces mots de Djibril Cissé résument le respect et l’estime que se vouent l’ex-buteur de l’AJ Auxerre et son ancien entraîneur légendaire, Guy Roux. Tout ou presque opposait ces deux fortes personnalités lorsque le gamin fougueux du sud de la France a posé ses valises dans l’Yonne en 1996, il y a presque trente ans. Djibril en avait quinze, et l’AJA était au sommet du foot français.
« Un recruteur ami (Serge Courant, ndlr) me l’a indiqué, on l’a fait venir. On a fait un essai. Il avait tellement de marge et d’avance sur les autres… On a dit oui tout de suite », nous confie Guy Roux, marqué par ce moment charnière. L’histoire est lancée. Djibril Cissé n’a rien oublié. « Serge me repère à Clairefontaine. Je débarque à Auxerre, il y a tout. J’arrive à l’adolescence. 700 kilomètres d’Arles, changement de vie… J’arrive en plein mois de juillet, ce n’est pas la même charge de travail. Et surtout j’arrive dans un club qui vient d’être champion de France, a gagné la Coupe de France et qui est le meilleur centre de formation du pays. C’était ce qui se fait de mieux donc il y avait une petite pression… ».
Si l’AJA s’est appuyée sur son savoir-faire en matière de détection, la bienveillance et le relationnel de Guy Roux ont font pencher la balance. C’est une autre force du technicien : cerner rapidement un contexte familial et ne jamais négliger l’aspect humain. « Sa maman travaillait dans une école maternelle, explique-t-il. Il était le septième enfant et l’un de ses grands frères avait été professionnel en deuxième division (Abou, ndlr). Il est venu avec le grand frère, il y avait sa maman. Comme il avait 14 ans, j’ai décidé de payer à sa maman chaque mois un voyage avec son fils aîné pour venir voir Djibril. Donc pendant deux ans, tous les mois ils avaient le droit à deux billets et une Clio à Orly, et ils venaient voir Djibril. »
« Il avait une très bonne maîtrise en pleine vitesse et la faculté de se placer pour armer de très belles frappes »
Un petit rituel qui touche le buteur en plein cœur. « Le coach, je l’appelle mon deuxième père, il le sait. Il sait ce qu’il représente. C’est quelqu’un qui a tenu parole envers ma mère, qui a eu des mots forts » , souligne Djibril Cissé, avant de raconter une anecdote lourde de sens. « Quand Stéphane Guivarc’h est revenu de blessure, moi je voulais partir. Le coach m’a dit de lui faire confiance. Et moi j’étais un petit con on peut le dire… J’ai eu une réunion avec mon grand frère à l’époque. Il m’a dit : ‘est-ce que tu sais qui est ce monsieur ? Est-ce que tu sais qui il a sorti ? Cantona, Boli… Je m’y suis préparé et je suis rentré dans le rang. Et aujourd’hui, grâce à lui, j’ai fait cette carrière et je suis devenu un nom respectable. Merci beaucoup. »
Djibril Cissé était alors un diamant brut que Guy Roux s’apprêtait à polir. Les points forts du buteur en herbe imprimaient la rétine. Deux en particulier. « Sa vitesse et sa qualité de frappe, s’enthousiasme encore l’homme au bonnet. Il avait une très bonne maîtrise en pleine vitesse et la faculté de se placer pour armer de très belles frappes. C’était exceptionnel. Et c’était à nous de lui donner le reste…» Paternaliste et perfectionniste, le coach de l’AJA avait une feuille de route très précise. « J’essayais de donner tous les outils à mes footballeurs. Vous savez, dans le football, il y a 8 outils : la tête, la poitrine et les deux jambes. Et sur chaque jambe, il y a trois frappes : l’intérieur, l’extérieur et le coup de pied. Donc ça fait 8. Il lui manquait un peu le jeu de tête et puis le pied gauche, on a essayé d’améliorer tout ça… Sans oublier le point fort. »
La suite est connue de tous : une entrée fracassante dans le paysage du football français, 2 titres de meilleur buteur de Ligue 1 (2002 et 2004) et un total de 96 buts dans le championnat de France, dont 70 avec son club formateur. Guy Roux est à la genèse de l’histoire. « Il y a deux, trois ans, j’avais encore cette envie de franchir les 100 buts…, a encore rappelé Djibril Cissé. Ce n’est pas faute d’avoir travaillé mon pied gauche et mon jeu de tête. Je pense que je les aurais fait avec un bon pied gauche et un bon jeu de tête donc je ne peux m’en prendre qu’à moi-même. On est dans la transmission maintenant. Et mon fils sera le premier à qui je les transmettrai. »
« Il avait une très bonne maîtrise en pleine vitesse et la faculté de se placer pour armer de très belles frappes »
Il y a trente ans, déjà, il était question de transmission. C’est aussi cela, l’esprit de l’AJA. Convaincu par le potentiel d’un jeune footballeur, Guy Roux avait été aussi conquis par son éducation et ses valeurs. « Djibril a toujours été un homme très droit. Toute sa famille, ses frères et sœurs que j’ai rapidement connus, et sa maman bien sûr, sont des gens d’une grande valeur morale. Et ça, c’est une force considérable. »
Mardi 27 mai, pour son jubilé, Djibril Cissé aura certainement les yeux humides lorsque ses enfants croiseront celui qu’il appelle son deuxième papa. Ses anciens coéquipiers seront là, aussi, tous autour de lui : Fabien Cool, Johan Radet, Philippe Mexès, Jean-Alain Boumsong, Jean-Sébastien Jaurès, Amdy Faye, Teemu Tainio, Yann Lachuer, Olivier Kapo ou encore Khalilou Fadiga pour ne citer qu’eux – soit l’intégralité du premier onze-type qui a marqué son époque au début des années 2000. Accompagné de l’entraîneur actuel de l’AJA, Christophe Pélissier, pour coacher ses anciens protégés, Guy Roux sera sur le banc, son banc, dans cet écrin de l’Abbé-Deschamps dont il connait les moindres recoins. Le grand livre d’Auxerre sera ouvert, les chapitres et les générations s’entremêleront. Pour Djibril Cissé et Guy Roux, le temps d’un instant, tout redeviendra comme avant.
Propos recueillis par Jean-Charles Danrée