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En équitation, les JO de la dernière chance ? Ces scandales que la discipline veut dépasser

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En équitation, les JO de la dernière chance ? Ces scandales que la discipline veut dépasser

Pour mettre en avant les épreuves équestres des Jeux olympiques et paralympiques 2024, les organisateurs avaient besoin d’un slogan. Une formule courte, facile à retenir. De quoi souligner la tradition française, alors que pour cette édition, les cavaliers et leurs chevaux auront l’honneur de défiler au château de Versailles, qui autrefois abritait les écuries du roi et ses 2 300 chevaux d’exception.

A force de réunions et de contre-propositions, une devise a finalement été retenue par les organisateurs et imprimée sur les affiches officielles : "Au château de Versailles, le cheval est roi." En plus de convoquer Louis XIV, dont la statue à cheval garde l’entrée du palais, le message renvoie à des montures traitées en seigneurs. Une aubaine, alors que la discipline, qui est entrée en scène ce samedi, est contrainte de montrer patte blanche si elle veut conserver sa place aux JO.

La précédente édition, en 2021 à Tokyo (Japon), a profondément abîmé la réputation de ce sport, le plus populaire de l’Hexagone après le football et le tennis. Un cheval, Kilkenny, a fini le saut d’obstacles les nasaux en sang, sans que personne ne lui porte secours. Paralysé par la panique durant le pentathlon moderne, un autre, Saint Boy, s’est fait frapper à de nombreuses reprises en mondovision par sa cavalière, l’Allemande Annika Schleu.

En amont de l’édition actuelle, au début de l’année, une quarantaine d’athlètes, entraîneurs, vétérinaires et personnalités du milieu ont appelé dans le journal Le Parisien à des engagements pour le respect des chevaux : "A l’heure où le bien-être animal a été élevé au rang de préoccupation sociétale, politique […] prendre véritablement en compte le bien-être des chevaux est indispensable si l’on veut que les épreuves équestres […] perdurent."

Les appels semblent avoir été pris très au sérieux. Les Jeux de Paris devraient ainsi être les derniers à faire figurer l’équitation au pentathlon moderne. Le Comité international olympique (CIO) a décidé de remplacer l’épreuve par une course de sauts d’obstacles à pied à Los Angeles, en 2028. Contraignant, de fait, le reste de la filière équestre à se réinventer pour éviter de subir le même sort en 2032, alors que le grand public tolère de moins en moins ces écarts.

Les différents acteurs de la discipline ont ainsi dû réfléchir en urgence à des instances et des procédures garantissant le "bien-être" de l’animal, de façon à débusquer plus rapidement les équipes tentées de faire passer leurs performances avant la santé de l’animal. Un chantier bien moins avancé que pour l’homme, pour lesquels il existe déjà de nombreux garde-fous, que ce soit dans la manière de pratiquer les sports (limitation des contacts, interdiction de certaines techniques) ou dans la lutte contre le dopage, qui, au-delà de relever de la triche, met en danger la vie des aspirants champions.

Un comité "bien-être" limité

Avant l’ouverture, les organisateurs se sont ainsi targués d’avoir mis en place un "comité bien-être", composé d’une dizaine de personnalités du monde équestre. Une grande première pour la filière. La mesure figurait en tête des 46 recommandations remises au gouvernement français en 2022 par l’ancien député macroniste Loïc Dombreval, et formulées spécifiquement pour améliorer la considération des chevaux dans ces JO.

La Fédération équestre internationale, équivalent de la Fifa ou de World Rugby, s’est elle aussi dotée d’un comité pour surveiller les autres compétitions internationales dont elle a la charge. Contactée par L’Express, elle explique également avoir fait évoluer certaines règles depuis 2021 avec une inspection systématique des chevaux et davantage de pouvoirs accordés au jury pour décider d’une élimination sur des critères de bien-être ou de sécurité.

Un début déjà compliqué

Le slogan 2024, qui véhicule l’image d’un cheval sans rien au-dessus de lui, a ainsi été pensé pour parachever, en mots, la mue de la discipline. Mais, à peine les derniers gradins posés dans le parc du château, un nouveau scandale a éclaté. L’athlète britannique Charlotte Dujardin - une des sportives les plus médaillée de son pays - a dû se retirer, trois jours avant l’ouverture, à cause d’une vidéo, datant d’il y a quatre ans, la montrant jouant de la cravache sans retenue. Quelques semaines plus tôt, la Française Morgan Barbançon, meilleur espoir tricolore pour le dressage, s’est vue elle aussi privée de compétition à cause de manquements à ses obligations de transparence vis-à-vis de l’Agence française de lutte contre le dopage.

De quoi mettre à mal le récit d’une discipline assainie. D’autant que les changements opérés peinent à convaincre les spécialistes. "On pourrait se réjouir de ces nouvelles règles, si on oubliait qu’il a fallu attendre 2024 pour les voir émerger, regrette Loïc Dombreval, l’auteur du rapport remis à Matignon. Mais le problème, c’est qu’à l’heure actuelle, ces comités d’éthique ne disposent pas d’assez de liberté pour réellement peser sur les évènements. Toutes leurs prises de position doivent être validées par les organisateurs."

Après plusieurs mois d’enquête sur le sujet, celui qui est aujourd’hui à la tête du Conseil national de la protection animale imaginait bien plus de fermeté. Il avait suggéré l’installation de caméras de surveillance dans les boxes, consultables a posteriori et en cas de doute, ainsi que des contrôles plus fréquents. Il appelait également à une grande refonte de la lutte antidopage. "Aucune de ces mesures n’a été appliquée", déplore l’intéressé.

De trop rares dépistages

Dans les allées des jardins, aux boxes du Club hippique de Versailles où logent les chevaux de l’équipe suédoise, et dans tous les coins de la capitale où des litières seront installées, "90 vétérinaires se relaieront" pour prendre soin des chevaux, rappelle également la fédération internationale. Rencontré récemment par L’Express, le préfet d’Ile-de-France, Marc Guillaume, faisait lui aussi part de cette mobilisation. Une manière de marquer l’attention portée par l’Etat français sur le sujet.

Deux vétérinaires seront chargés d’effectuer les prélèvements d’urine indispensables aux dépistages antidopage. Contrairement à l’athlète humain, qui saura s’organiser pour fournir les fluides nécessaires en temps voulu, l’animal ignore tout de ces enjeux. Les vétérinaires sélectionnés par la FEI, la Française Marie Grandcollot-Chabot et l’Emirati Ali Tweissi devront donc attendre, dans les box des intéressés, un seau à la main, que l’envie vienne.

Ces dépistages ne sont pas nouveaux. La fédération internationale a depuis longtemps mis en place un dépistage systématique des médaillés aux JO, par prélèvement d’urine ou de sang. Ce qui a contribué à réduire les scandales en la matière, qui étaient nombreux jusque dans les années 2000. Lors des Jeux de Pékin (Chine), en 2008, cinq chevaux ont été déclarés positifs à des dopants. En 2004, à Athènes (Grèce), deux médailles avaient été retirées pour des affaires de la même teneur.

Un filet bien distendu

Aucune monture n’a été prise depuis trois ans, donnant l’impression d’un sport entièrement propre. Une impression seulement, selon Jacques Nardin, un ancien testeur qui a demandé le statut de lanceur d’alerte. "Les JO ne sont qu’une vitrine, assure l’intéressé, auteur de plusieurs dizaines de signalements aux autorités. Le cœur du problème se situe dans les compétitions nationales, qui ne sont pas assez surveillées. En vingt-cinq ans, j’ai trouvé nombreuses substances prohibées ou suspectes durant ces évènements, que ce soit sur les analyses des animaux, dans les placards des écuries ou au fond des poubelles des hippodromes."

Contrairement au dopage humain, son équivalent équestre ne se limite pas à des produits améliorant les performances physiques, comme les anabolisants, les facteurs de croissance ou l’EPO, notamment. Les tricheurs peuvent aussi utiliser des produits pour faciliter le conditionnement. Parmi eux, la capsaïcine. Extraite du piment et appliquée sur les jambes des destriers, cette molécule brûle l’animal, au point de lui faire croire qu’il faut sauter et courir comme si sa vie en dépendait.

Il arrive aussi, et à l’inverse, que les nerfs présents dans les pattes des animaux soient sectionnés. Brutal et rédhibitoire, l’acte rend l’animal insensible, alors que certains peuvent rechigner à concourir, du fait de trop nombreux chocs à l’entraînement. Sans nerfs, impossible aussi de sentir les blessures que provoquent certaines gaines interdites parce qu’elles déchirent les fibres, par exemple. "Autant de techniques rendant les contrôles plus difficiles et demandant qu’ils soient particulièrement fournis, d’autant que les animaux ne parlent pas", relate Jacques Nardin.

Un important retard

Poussés très tôt à faire le ménage, les milieux du sport "humain" se sont dotés, depuis les années 1990, d’institutions nationales et internationales, ainsi que de tout l’attirail juridique nécessaire pour réduire les mailles du filet. Ce qui n’a pas été le cas du sport équestre, le sujet étant, jusqu’à récemment, considéré comme secondaire par le grand public et les décideurs. Là où, pour les humains, l’Agence mondiale antidopage se charge de fixer un cap et des règles claires aux différentes fédérations, aucune harmonisation internationale n’a été faite en matière animale. "Il arrive souvent qu’un produit soit autorisé dans un pays et interdit dans un autre", illustre Jérémy Roubin, secrétaire général de l’Agence antidopage française (AFLD).

Aujourd’hui, la lutte antidopage "est une profession, plus un passe-temps", estimait le directeur scientifique de l’Agence mondiale antidopage, Olivier Rabin, sur BFM TV le 9 juin. Une maxime vraie pour les hommes, mais pas pour les animaux, concède aujourd’hui l’institution. Celle-ci appelle à l’élaboration d’une loi spécifique en la matière, pour permettre une plus grande marge de manœuvre aux autorités. "Ces Jeux doivent être ceux d’une prise de conscience des besoins en la matière", souligne Jérémy Roubin.

Des textes flous

Pour le moment, les juges français de l’antidopage doivent se contenter de traduire les textes pensés pour les humains afin de les appliquer aux animaux. Ce qui restreint fortement le champ d’action de l’Agence antidopage. "L’AFLD peut sanctionner le cavalier ou l’entraîneur, mais ne peut pas sanctionner les vétérinaires, par exemple. Et il n’existe pas d’équivalent des suspensions provisoires que l’on retrouve dans le milieu humain", indique Jérémy Roubin.

De quoi nourrir aussi toutes sortes d’imbroglios juridiques. En avril, le cas d’une accusée de dopage équestre avait relevé du casse-tête, même pour les sages du Conseil constitutionnel. Une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) leur avait été adressée pour régler une affaire remontée jusqu’au Conseil d’Etat et qui, en l’absence de règles claires, ne pouvait être départagée.

Chaque dépistage équestre réalisé en France est ensuite envoyé aux Laboratoire des courses hippiques, un des rares au monde spécialisé dans l’analyse équestre. C’est lui qui assurera l’entièreté des dépistages équins des JO. Son statut juridique est particulier, puisqu’il n’est pas indépendant, contrairement à son équivalent pour les humains. Il est lié à la fédération hippique… ce qui a pu lui valoir quelques procès d’intention par le passé.

Un manque cruel de moyens

Mais au-delà de ces problèmes, c’est surtout le nombre de dépistages pris en charge chaque année qui est critiqué. Il n’y en a eu que 300 en 2023. Un chiffre dérisoire : plus de 140 000 chevaux officient en compétition dans l’Hexagone, selon les chiffres de l’Institut français du cheval et de l’équitation. Contrairement au cyclisme, aucun test n’est mené en dehors des compétitions. C’est pourtant à l’entraînement que le dopage est le plus fréquent.

Interrogée à ce sujet, la FEI assure avoir "entamé des procédures pour permettre les dépistages hors compétition". Encore faudrait-il pouvoir les réaliser. Jusqu’en 2022, l’Agence antidopage ne disposait que de trois vétérinaires testeurs pour opérer sur l’ensemble du territoire. Elle n’a pu en embaucher que cinq de plus depuis. Coïncidence : les cas de triche détectés se sont multipliés, passant de deux en 2019 à dix en 2023.

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