Nouvelles

La course aux profits dans le tennis est en train de tuer la Coupe Davis

0
Comment la course au profit est en train de tuer la Coupe Davis.

Avec la nouvelle formule annoncée par l'ITF et portée par Novak Djokovic, la part belle sera faite à la monétisation auprès du très grand public au détriment de l'enjeu sportif et des amoureux du tennis.

Ils ont finalement osé. Après des années de rumeurs, de débats et de controverses, les décideurs de l'ITF ont traversé leur Rubicond pour mettre à mort l'une des plus belles et anciennes compétitions sportives de la planète. Sous couvert d'évolution et de modernisme, la Fédération Internationale de Tennis vient tout simplement d'annoncer, à travers un partenariat avec le groupe d'investissement Kosmos, le démembrement de la Coupe Davis.

Plus de matches au meilleur des cinq manches, plus de rencontres à domicile, la compétition se disputerait sur une semaine entre dix-huit équipes nationales sur terrain neutre dans un format court qui reste à définir. Plus qu'une évolution, ce serait une révolution! Si la vieille dame de 118 ans, trop souvent délaissée ces dernières années par ses plus séduisants courtisans, avait bien besoin d'un petit lifting pour leur plaire à nouveau, cette proposition, qui reste à valider en août prochain, ressemble surtout à une mise à la retraite forcée.

Soyons clairs, sous cette nouvelle forme, la nouvelle compétition n'aura plus rien à voir avec la mythique course au saladier d'argent. Terminés les combats homériques en cinq sets devant un public en effervescence, terminés les retournements de situation au bout de la nuit et la dramaturgie qui ont forgé sa légende et fait éclore d'improbables héros. Cette compétition ô combien singulière et excitante, vestige d'un tennis traditionnel et désintéressé a visiblement fait long feu et va laisser sa place à une coquille vide sans âme et sans passion. Bref, sans véritable intérêt.

Car que seraient nos souvenirs si en 1996, Cédric Pioline avait plié la finale dès le troisième simple contre Thomas Enqvist, nous privant de l'extraordinaire morceau de bravoure que fut le match entre Arnaud Boetsch et Nicklas Kulti, conclu 10-8 au bout du cinquième set? Que retiendrions-nous de la finale de 2002 si ce n'est une victoire expéditive et sans saveur de Paul-Henri Mathieu sur Mikhail Youzhny? La grandeur même de cette épreuve réside dans son format de jeu, qu'elle ne partage qu'avec les tournois du Grand Chelem, et le fait d'évoluer dans d'indescriptibles ambiances partisanes. Toucher à cela, c'est modifier son ADN pour en faire une compétition insipide.

Et, ne nous y trompons pas, cette réforme ne prend pas source dans une volonté de changement et de progrès. Bien plus prosaïquement et tristement, c'est une vulgaire histoire de gros sous et de clientélisme qui va avoir raison de plus d'un siècle d'histoire. Car, dans l'absolu, que lui reproche-t-on à cette Coupe Davis? Pourquoi les cadors du circuit la boudent-ils? Tout simplement car elle ne rapporte pas assez. Son format atypique empêche une commercialisation optimale et une diffusion globalisée qui permettraient de générer de gros revenus. De fait, certains cadors n'y trouvent plus leur compte et n'acceptent plus de consacrer quatre week-ends (maximum) par an à leur équipe nationale pour des gains pécuniaires si faibles.

Sous couvert de se préserver physiquement des affres de saisons éreintantes, les Federer ou Djokovic, principaux artisans du changement (voire partie prenante pour le serbe), se sont ainsi presque immédiatement détournés du saladier d'argent une fois sa réplique installée sur leur cheminée. Bien sûr, l'année tennistique est, effectivement, particulièrement longue et usante pour les meilleurs joueurs. Avec plus de 80 matches par an, il paraît légitime qu'ils choisissent d'alléger leur calendrier. Là où le bât blesse, c'est lorsque l'on se penche sur leur programmation. Plutôt que de s'aménager des plages de repos, ils ont tous passé leur carrière à courir le cachet dans des tournois bien moins prestigieux que la Coupe Davis.

À Doha ou Dubaï par exemple, tournois de second rang, les primes d'engagement (les fameuses "guarantees" que négocient les joueurs pour accepter de disputer une compétition) oscillent entre 500.000$ et 1M$ pour les membres du Top 10. Une bonne raison de préférer aller taper la balle dans les émirats que d'aller s'échiner dans des matches à rallonges avec pour principal salaire, la reconnaissance patriotique. Et l'on ne parle même pas des exhibitions sans aucun enjeu sportif qu'ils disputent à longueur d'années en marge de l'ATP Tour ou du circuit IPTL, véritable ovni tennistique disputé en novembre, qu'ils ont tous rejoint entre 2014 et 2016. S'ils mettent en avant leur santé pour éconduire la Coupe Davis de leur calendrier, ils n'hésitent cependant pas à courir le monde pour quelques billets de plus durant leur seul mois de repos...

L'argument médical ne tient dès lors plus et, sur l'épineuse question de la réforme de la Coupe Davis, la tendance est donc clairement à l'hypocrisie la plus grossière. Le premier d'entre eux, Roger Federer, qui n'a pas manqué de saluer "le grand pas" fait par l'ITF, a déjà lancé une compétition concurrente, la Laver Cup, réunissant l'élite du tennis mondial sur une semaine pour une opposition amicale Europe - reste du Monde. Si la première édition s'est révélée plutôt sympathique, cet entre soi élitiste promu par le champion suisse a pour objectif non dissimulé de créer un show tennistique particulièrement télégénique pensé pour la commercialisation et dont les seuls bénéficiaires seront les joueurs.

En poussant depuis des années pour une réforme de la Coupe Davis, le Bâlois servait-il donc ses propres intérêts? Entre sa "Ryder Cup tennistique" hyper spectaculaire, moderne, bien pensée et la version expurgée et incohérente de la nouvelle Coupe Davis, il a effectivement toutes les chances de tirer les marrons du feu et d'imposer son modèle comme LA compétition majeure par équipe. De là à affirmer que tout était calculé, il y a un pas que je ne franchirai pas mais disons que la concomitance est troublante et que les planètes s'alignent particulièrement bien pour sa toute jeune organisation qui fêtera sa deuxième édition en 2018.

Si certains, les Français en tête, ont fait part de leur effarement et de leur opposition, un tel projet porté par Djokovic et soutenu par Federer et Nadal n'a que d'infimes chances d'être retoqué par le vote d'Orlando. Alors que d'autres alternatives auraient pu être envisagées pour la moderniser (resserrement de l'élite, organisation biennale...), c'est donc bien l'arrêt de mort de la Coupe Davis traditionnelle que vient de signer l'ITF. Sauf improbable retournement de situation, la nouvelle compétition orchestrée par le Djoker et à l'enjeu sportif plus que discutable, aura lieu dès 2019.

Profitons donc bien de cette édition 2018 car, si elle conservera son nom, elle risque bien de perdre tout son charme et son identité au profit du seul sport-business. Le prochain France-Belgique que nous verrons sera peut-être disputé en trois sets de quatre jeux dans une Arena de Kuala Lumpur. Difficile d'imaginer qu'il nous provoque les mêmes émotions que les 25.000 supporters du Stade Pierre Mauroy en novembre dernier...

À voir également sur Le HuffPost:

Lire aussi :

La Coupe Davis va changer et ça ne plaît vraiment pas du tout au tennis français

BLOG - Pourquoi le retour au sommet de Federer est une mauvaise nouvelle pour le tennis

Reconnaissez vous ce petit tennisman devenu célèbre?

Pour suivre les dernières actualités en direct sur Le HuffPost, cliquez ici

Tous les matins, recevez gratuitement la newsletter du HuffPost

Retrouvez-nous sur notre page Facebook

Загрузка...

Comments

Комментарии для сайта Cackle
Загрузка...

More news:

Read on Sportsweek.org:

Autres sports

Sponsored