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Transport maritime : Les nouveaux cargos arrivent !

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Une coque, trois coques, à aile volante, voiles classiques ou gréement rigide, les cargos à voile débarquent ! Avec au moins un point commun : la détermination de leurs promoteurs à faire bouger les lignes.

Sommaire :

Le grand retour des clippers en support de la mondialisation décarbonée ? Et pourquoi pas ? Cette idée farfelue il y a encore dix ans est désormais prise très au sérieux par les logisticiens comme par les financiers. En 2022, l’ensemble de la flotte mondiale compte plus de 100 000 navires qui représentent 3 % du CO2 émis sur la planète. C’est à la fois peu, et beaucoup en valeur absolue : selon les estimations, entre 600 et 1 100 millions de tonnes de CO2 par an. Ce n’est surtout qu’une partie de la pollution du transport maritime, le résidu de pétrole visqueux utilisé par l’immense majorité des cargos émettant un véritable cocktail de gaz à effet de serre : du CO2, du méthane (CH4) et du protoxyde d’azote (N2O), responsables du réchauffement climatique, ainsi que du soufre et des particules fines. Ajoutons à cet état des lieux que le fret maritime ne cesse de croître, l’Organisation mondiale OMI (Organisation maritime internationale) évoquant un possible doublement des flux de transport sur les mers d’ici à 2050 (source : Le Monde). Ce dernier chiffre fait débat, mais il est certain que la contribution du transport maritime aux émissions de CO2 globales est appelée à croître… Bref, en un mot comme en cent, la trajectoire actuelle n’est pas bonne ! Pour redresser la barre, on voit poindre autant de solutions que d’acteurs. Les grands armateurs ont déjà ralenti leurs navires, ils regardent à présent du côté des motorisations : propulsion au méthanol « vert » pour Moller-Maersk, GNL ou e-ammoniac (issu de l’hydrogène) pour d’autres. Le géant français CMA-CGM, pour sa part, investit assez massivement dans des biocarburants qui, déployés à grande échelle, sont susceptibles de faire chuter drastiquement le coût du transport décarboné. Et puis il y a le vent dans les voiles, tout simplement, mais là on a plutôt affaire à une myriade de start-up qui visent soit à équiper les cargos existant d’une voilure d’appoint, soit à en construire de nouveaux, qu’ils soient cargos hybrides ou pures voiliers. Et c’est fascinant. [caption id="attachment_184084" align="aligncenter" width="500"] Les « solid sails » des Chantiers de l’Atlantique ont été testées avec succès sur un J/80. © CECILE HOYNANT[/caption] Fascinant d’assister à ce big-bang naval, à cette génération spontanée de projets aux partis pris économiques et techniques si différents sous la bannière de la décarbonation du « shipping ». Deux cultures se rencontrent : la course au large et la Marine marchande. Et on distingue du premier coup d’œil ceux qui viennent de l’un ou de l’autre monde. Le trimaran Vela et ses étraves perce-vagues ? Il doit beaucoup à François Gabart. Le Neoliner ? Malgré son imposant gréement basculant, il a quand même une silhouette de cargo roulier (ou « ro-ro », voir les mots pour le dire). Sans surprise, c’est un projet imaginé par des marins de commerce... Ajoutez à cela les pionniers du secteur, ceux qui ont commencé avec des vieux gréements à l’image de Grain de Sail ou de Towt, les alternatifs qui innovent aussi par leur gouvernance coopérative, et vous aurez une idée de la joyeuse pagaille créative qui anime le secteur.

Au départ, des vieux gréements

Commençons par les historiques, justement, ceux qui ont commencé par charger des caisses de vin et de la fève de cacao sur de bons vieux navires en bois. Dans le cas de Grain de Sail, il s’agissait d’importer le cacao de la chocolaterie située à Morlaix sans peser sur la planète. Mais comme tout logisticien déteste les voyages à vide, il a bien fallu remplir les cales pour le voyage aller en direction des pays producteurs... Et voilà comment, de fil en aiguille, le chocolatier est devenu une compagnie maritime qui vient de mettre à l’eau un deuxième cargo à voile de 52 m de long pour 350 t de charge. Chez Towt, c’est différent, le principe du transport à la voile est présent depuis le début, c’est une logique de volume et de modèle économique qui a conduit à ces nouveaux cargos à voiles. Deux sisterships de 80 m en l’occurrence, construits chez Piriou au Vietnam comme le Grain de Sail II, et portant d’ailleurs la même mâture. [caption id="attachment_184086" align="aligncenter" width="500"] Grain de Sail est le premier armateur à avoir construit et exploité de vrais cargos à voiles. © DR[/caption] Dans les deux cas, il s’agit de charger des produits à forte valeur ajoutée, souvent des marchandises délicates pour lesquelles les bonnes conditions de transport (maîtrise de la température et de l’hygrométrie notamment) sont appréciées. Vin, maroquinerie, mode... On ne parle pas de conteneurs mais de palettes, ce qui permet d’éviter les conteneurs en pontée et toutes les contraintes liées aux installations de chargement-déchargement liées à ce format, et de desservir des ports secondaires au plus près des sites de production. L’idée étant logiquement de pousser la logique bas carbone au-delà du port, d’un entrepôt à l’autre. Cela étant dit, les paris sont ouverts quant aux performances de ces cargos sous voiles, et donc à leur capacité à transporter quasi exclusivement à la voile. Pour Stéfan Gallard, de Grain de Sail, la voile n’est pas compatible avec le gigantisme de la Marine marchande, sauf à parler de navires hybrides voile/moteur.  « Mieux vaut se limiter à 50 m, ce qui représente déjà une belle capacité de charge, et viser des niches logistiques à haute valeur ajoutée. » [caption id="attachment_184085" align="aligncenter" width="500"] Le cargo à voiles comme symbole d’une mondialisation apaisée : doux rêve ou futur désirable ? © Piriou[/caption] Les ambitions ne sont pas les mêmes chez Windcoop (voir 3 questions à Niels Joyeux ), le seul de nos transporteurs à la voile qui ait opté pour le conteneur. 150 par voyage, on est assez loin des géants de la boîte en acier devenue l’un des symboles de la mondialisation. Pour mémoire, les plus grands porte-conteneurs en chargent près de 24 000, mais la majorité de la flotte existante en porte 500 à 3 000. Mais qu’importe, conteneurs ou palettes, on reste sur des niches logistiques à haute valeur ajoutée qui vont généralement de pair avec la labellisation des produits. Logique : demain, on portera son pull siglé « transporté à la voile » comme on déguste ses radis bios. Reste à construire ce label au niveau national, voire européen. Pour l’instant, chacun a le sien ! Or le rôle de ces cahiers des charges certifiant et/ ou quantifiant la décarbonation liée au transport à la voile est essentiel pour des chargeurs qui ont besoin de valoriser cet effort militant vis-à-vis de leurs propres clients, qui parfois l’exigent au nom de leur politique RSE (Responsabilité sociétale des entreprises). Ces nouvelles exigences se diffusent dans le tissu économique par le biais de ces relations client-fournisseur, mais aussi des banques qui financent ou portent ces projets – à l’image d’Arkea qui vient d’investir dans Windcoop. Elles le font par civisme certes, mais aussi parce que cela correspond aux exigences de leur « board »... A la fin des fins, tout est politique !

De grands acteurs se lancent

Mais ça marche, la preuve, des acteurs majeurs se lancent dans l’aventure à l’image d’Ariane Espace ou Renault. Des poids lourds qui signent plutôt pour des navires hybrides au format rassurant, même si le cas d’Ariane est très particulier puisque le Canopée a été fait sur mesure pour les éléments d’Ariane 6. Canopée qui, soit dit en passant, se distingue par son gréement à ailes rigides (Ayro), des profils au rendement imbattable portés sur quatre mâts de 36 m disposés en rectangle, qui lui autorisent des moyennes supérieures à 10 noeuds en mode hybride certes, mais avec de sacrées économies de carburant fossile à la clé. De toute façon, le mode hybride s’impose pour un navire comme Canopée qui doit délivrer des éléments d’Ariane 6 dans un timing très précis, quasiment à l’heure près sur une ligne transatlantique. [caption id="attachment_184089" align="aligncenter" width="500"] Canopée d'Ariane Group © Tom Van Oossanen[/caption] Le transport de conteneurs a d’ailleurs les mêmes exigences ou presque, les cargos ayant des créneaux réservés pour décharger au terminal. Si vous ratez votre « slot », vous êtes fait... Les outils de routage comme ceux d’Adrena, qui a développé des modules dédiés au shipping, jouent ici un rôle essentiel, mais quand la météo n’est pas coopérante ils ne font pas de miracle. Et un navire de commerce ne peut pas se permettre d’attendre le vent. De façon générale, la question de la vitesse est centrale dans le discours des nouveaux chargeurs à voiles. Là encore, il y a les puristes qui veulent aller au bout de la logique vélique, et les pragmatiques qui prônent le maintien d’une vitesse soutenue sur leurs lignes. Avec l’idée que même s’ils réalisent moins d’économies de CO2 sur un voyage, le navire fera tellement plus de rotations pendant l’ensemble de son exploitation qu’au final, il aura plus contribué à la décarbonation qu’un cargo 100 % voile.

Des kites pour la flotte actuelle

Parmi ces pragmatiques, il y en a un qui tient un discours un peu différent, et prône par ailleurs une autre solution technique : c’est Yves Parlier. Yves Parlier est depuis des années l’apôtre de l’aile de type kite, dont les qualités aérodynamiques et pratiques sont sans pareil à ses yeux. De fait, elle ne manque pas d’arguments, notamment en rétrofit, c’est-à-dire pour équiper les cargos existants. Or il est clair que décarbonation ou pas, les armateurs ne vont pas jeter à la poubelle leur flotte actuelle, et encore moins les centaines de cargos conventionnels actuellement en chantier. En attendant le « grand soir » du shipping à la voile, il faut donc permettre à ces bateaux d’utiliser le vent pour économiser ne serait-ce que 10, 15 ou 20 % de carburant, ce qui représente déjà quelques tonnes de CO2 à l’échelle de la flotte de commerce mondiale. [caption id="attachment_184087" align="aligncenter" width="500"] La SeaKite d’Yves Parlier peut s’adapter à tous les cargos conventionnels. © DR[/caption] L’aile de kite a en outre l’avantage de ne pas nécessiter de mâture, donc aucune contrainte en termes d’infrastructures portuaires. Reste la question du pilotage de l’aile, sur laquelle Yves travaille depuis des années. Il a mis au point avec l’équipe de sa société Beyond The Seas un système automatisé de pilotage qui se trouve sur le pont, contrairement à des systèmes concurrents qui sont embarqués sur l’aile. Même logique de rétrofit pour un autre héros du Vendée Globe, Michel Desjoyeaux, très impliqué dans le projet de voilure gonflable de la société Wisamo, filiale du groupe Michelin. Nous avons eu l’occasion d’embarquer sur son Sense 43 équipé de cet étonnant gréement Bibendum, et si la machinerie nécessaire pour gérer le système paraît démesurée sur un voilier de plaisance, l’idée prend tout son sens sur un cargo – la véritable ambition de Wisamo. Au final, l’incroyable effervescence qui agite le petit monde des cargos à voiles apparaît à la fois un peu déroutante et terriblement excitante. De la passion, de l’engagement et beaucoup de matière grise qui dessinent aujourd’hui le shipping de demain… et les enjeux sont énormes. Quelle solution va s’imposer ? Difficile à dire, mais c’est leur complémentarité qui saute aux yeux : de vrais voiliers cargos pour des produits à haute valeur ajoutée qui gagnent à être exemplaires et labellisés comme tels, des cargos hybrides pour les industriels désireux de faire leur part dans le grand chantier de la décarbonation, les ailes de kite pour le gros de la flotte actuelle… Les besoins sont tels qu’il y aura de la place pour tout le monde. Et les cerveaux et entrepreneurs français ont une grosse carte à jouer pour construire le monde maritime d’après.

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Les mots pour le dire

Chargeur : Entreprise cliente d’une compagnie maritime, elle charge ses produits exportés sur le navire. EVP : Pour Equivalent Vingt Pieds (TEU en anglais), unité de mesure utilisée pour les terminaux comme pour les navires correspondant à un conteneur de 20 pieds. Retrofit : Montage d’un nouvel équipement sur un bateau ancien. RO-RO : Pour « roll-in, roll-out », en français navire roulier, qui transporte principalement du matériel roulant. Slow Steaming : Pour une compagnie maritime, démarche consistant à naviguer moins vite pour consommer moins de carburant et émettre moins de CO2. Mais l’impact réel du slow steaming ne va pas de soi puisqu’il faut plus de navires pour transporter autant de marchandises dans un temps donné. Le cas des marchandises réfrigérées pose également problème. Shipping : Anglicisme désignant l’industrie du transport maritime. Décarbonation : Action visant à faire diminuer les émissions de CO2 d’un secteur ou d’une activité économique. Supply Chain : Chaîne de valeur allant des matières premières au client final, incluant la logistique et la production.

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OMI, Europe, France : Le cadre réglementaire

En 2018, l’Organisation maritime internationale (OMI), qui dépend de l’ONU, a fixé l’objectif de réduction de 50 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050 par rapport à 2008, à charge pour les autorités maritimes nationales ou régionales de réaliser des contrôles. En juillet 2023, l’OMI a néanmoins revu ses ambitions à la hausse. La cible désormais affichée est une neutralité carbone nette (c’est-à-dire tenant compte des compensations) à la même échéance : 2050. Au niveau européen, l’une des mesures du « Green Deal » s’est traduite par l’obligation d’électrifier les quais pour que les navires à l’escale ne polluent plus. Echéance 2025. Au niveau national enfi n, la loi « Climat et résilience » comporte un volet « décarbonation du transport maritime » qui propose une première évaluation des besoins (énormes) en biocarburants et autres carburants alternatifs. Le GNL en fait partie en tant que « carburant de transition », pour la bonne raison qu’il est loin d’être idéal. La propulsion vélique n’est pas négligée et vue comme un atout national, mais elle ne peut être qu’un complément du reste. Concernant le soufre, l’OMI impose depuis 2020 à tous les navires de ramener la teneur maximum à 0,5 % (contre 4,5 % précédemment) pour le combustible et transporté, ce qui revient à interdire de fait l’utilisation de fi oul lourd. Sauf pour les bateaux qui s’équipent d’épurateurs (« scrubbers ») pour séparer le soufre des gaz d’échappement. En France, ces équipements doivent fonctionner en circuit fermé pour ne pas rejeter en mer leurs eaux de lavage.

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