Maroane Rakba, le destin comme boussole
Découvrez Maroane Rakba, le nouveau kinésithérapeute de l'USL Dunkerque. De son enfance à Mâcon à ses voyages à travers la France, en passant par sa passion pour le football et sa vision du bonheur, plongez dans le parcours inspirant d'un homme authentique et profondément humain.
Maroane, tu viens tout juste d'arriver à Dunkerque, qui es-tu ?
Maroane Rakba: "Je m'appelle Maroane Rakba, j'ai 31 ans. Avant d'être kinésithérapeute, j'ai grandi à Mâcon, à 45 minutes de Lyon, dans une famille d'origine marocaine. Nous sommes quatre enfants. J'y ai vécu jusqu'à mes 18 ans, jusqu'au bac. Toute la famille de ma mère était là, mes grands-parents juste à côté. Mon enfance s'est déroulée dans un petit quartier de Mâcon. La famille, pour moi, c'est le plus important. On en prend conscience encore plus quand on est loin. Après le bac, je suis parti en première année de médecine. Ensuite j'ai beaucoup voyagé à travers la France. Le football aussi m'a fait bouger. C'est quand on s'éloigne qu'on réalise l'importance de la famille."
Pourquoi es-tu parti à 18 ans de chez tes parents ?
M.R. :"Je suis parti faire mes études à Dijon. J'ai fait ma première année de médecine là-bas. Je n'étais pas un super élève, plutôt bon jusqu'à la seconde. Après, j'aimais bien rigoler avec mes copains. J'avais des bonnes capacités, mais je ne fournissais pas les efforts nécessaires. C'est ce qu'on écrivait dans mon bulletin. J'ai eu mon bac sans mention. Je voulais être kiné du sport depuis le collège, c'était toujours dans ma tête. Au lycée, les profs me disaient que c'était trop dur, que je n'y arriverais jamais en médecine. On avait cette fausse croyance qu'il fallait une mention très bien pour réussir en première année. Mais je suis têtu. Quand je veux faire quelque chose, je fonce. Le premier mois à Dijon a été difficile, loin de la famille et des amis. Mais après, je m'y suis mis réellement. J'ai coupé les ponts pendant un an, je ne suis pas sorti de ma résidence universitaire. J'ai loupé ma première année à 50 places près. La deuxième année, j'ai réussi. Mes meilleurs résultats scolaires, je les ai eus à la fac, pas au lycée. C'était parce que je faisais ce que je voulais faire. Quand les choses me plaisent, je me donne à fond. Je ne fonctionne pas qu'à la passion, mais je pense qu'il faut écouter son instinct et faire confiance à son destin pour ne pas tergiverser."
C'est une belle réussite après ce que l'on a pu te dire à l'école...
M.R. : "J'ai réussi même si certains ne croyaient pas en moi. C'était pour leur prouver que quand on a vraiment envie de faire quelque chose, on peut y arriver. Il faut avoir confiance en soi et foncer pour ne pas avoir de regrets. Une seule prof, mon prof d'anglais, a cru en moi à ce moment-là. Elle m'invite tous les ans au collège pour témoigner et parler de mon parcours. Je pense qu'en termes d'identification, quand tu viens des mêmes endroits, tu te dis que c'est possible. Quand j'étais plus jeune, je n'avais pas de modèles connus. Alors, je me dis que si cette personne, qui me ressemble, peut le faire, moi aussi. Quand je retourne au collège, je ne leur dis pas que kiné, c'est le plus beau métier du monde. Je discute avec eux : qu'est-ce que tu as envie de faire ? Si tu as envie d'être pâtissier, sois pâtissier, si tu as envie d'être mécano. Faites ce que vous avez envie de faire, soyez heureux et foncez, et ne laissez pas les autres dicter votre avenir."
Pourquoi avoir choisi ce métier ?
M. R. :"Le métier de kiné, je l'ai vraiment choisi tout seul. J'ai joué au foot toute ma vie, depuis que je suis tout petit. Je n'ai pas eu la carrière espérée, mais je pense qu'on suit tous un rêve d'enfance. Aujourd'hui, je suis un privilégié. Mes parents ont travaillé dur toute leur vie. Je n'ai pas l'impression de travailler, c'est une chance. Je vis des émotions que la plupart des gens ne peuvent pas vivre. J'ai travaillé sept ans à l'usine pour payer mes études. Je sais que ces gens ne vivront jamais ce que je vis au quotidien. Ces émotions... Comme ce premier match à Lille, qui a été incroyable. En 31 ans, je n'ai jamais vécu des émotions pareilles. Je me demandais si c'était réel. Courir sur une pelouse avec des gens que tu connais depuis deux ou trois jours, c'était comme une illusion. On est tous là par passion, du coach au président, en passant par la personne qui fait les petits-déjeuners. On a de la chance de vivre de tels moments. Surtout dans notre métier, où l'on est proche des joueurs. Il faut des qualités d'empathie, s'adapter à toutes les cultures et religions. Un vestiaire de foot est ce qu'il y a de plus cosmopolite. Ce sont peut-être des gens que tu n'aurais jamais croisés dans la vie de tous les jours. Le foot nous permet de garder cette part d'humanité."
Tu disais ne pas avoir grandi avec un modèle ?
M. R. :"Quand je disais que j'avais grandi sans modèle, je voulais dire sans modèle de rêve, où tu te projettes. Mes plus grands modèles, ce sont mes parents. Il est arrivé ici à 27 ans, il a quitté sa famille au Maroc. Aujourd'hui, je me demande comment il a pu faire ça. Surtout qu'à l'époque, tu ne rentrais pas au Maroc comme aujourd'hui. Récemment, je suis tombé sur la lettre qu'il avait envoyée à ses parents lorsqu'il est arrivé ici. C'est fou. C'est grâce à lui que je suis là aujourd'hui. S'il n'avait pas pris la décision de venir ici, peut-être que je ne serais même pas là à faire une interview. Peu importe, je ne vais pas idéaliser un joueur ou autre. Les vraies personnes, les modèles, ne sont souvent pas là où on pense qu'ils sont. Je pense que ce que je vis, je le vis à travers ses yeux. Je l'ai au téléphone tous les jours, je lui raconte des anecdotes liées au foot, des émotions. J'ai l'impression qu'il est encore plus content que moi. Lui, c'est un passionné de football. Tout ce que je vis, c'est comme si lui le vivait avec moi."
Le partage est important selon toi ?
M. R. :"On a tous besoin de partager les choses. Sinon, ça sert à quoi de vivre tout ça ? Si tu ne partages pas avec les gens tes histoires, tes anecdotes, tes souvenirs... On est tous, quelque part, nostalgiques de certains moments. Et ces moments sont tous avec des personnes qui nous sont chères. Si tu vis en autarcie, même si tu as toutes les richesses du monde, tu ne seras jamais heureux. Pour moi, le bonheur, il est proche. Finalement, je pense que le bonheur est sous nos yeux, mais on ne s'en rend pas compte. L'humain est toujours à la recherche de plus, il n'est jamais satisfait. Mon livre préféré, c'est L'Alchimiste de Paulo Coelho. C'est l'histoire d'un berger qui rêve d'un trésor aux pyramides d'Égypte. Il vend ses moutons et part à la recherche de son rêve. Il traverse le détroit de Gibraltar, la Méditerranée, et arrive au Maroc. Finalement, il rencontre quelqu'un qui a eu un rêve similaire, mais qui a vu le trésor non pas en Égypte, mais sous l'église où le berger était au début. Il retourne en Espagne et trouve le trésor sous l'église. Chacun interprète ce livre comme il veut, mais pour moi, cela veut dire que le bonheur, on le cherche loin, alors qu'il est sous nos yeux. Des fois, on voyage, on suit des objectifs, mais le bonheur est peut-être chez soi, dans son village, près de ses proches, de sa famille, de ses grands-parents. C'est ça, vraiment. C'est simple. Le bonheur est sous nos yeux, il faut juste le voir. Je pense que le bonheur, c'est se contenter de ce qu'on a. Il faut faire ce qu'on a envie de faire. Quand j'étais jeune kiné, je voulais voyager. Je suis parti à la Réunion plusieurs fois. Les cascades, les plages, les volcans en éruption... Ce sont des moments que je n'oublierai jamais. J'ai eu la chance de les vivre. Ça a changé ma vision de voir les choses, de profiter de la nature. Après, j'ai eu besoin d'ouvrir un nouveau chapitre et je me suis remis dans ma première passion, le foot. Tous ces voyages m'ont fait comprendre qu'il faut faire ce que tu as envie de faire. Peu importe ce que ça va t'en coûter. Sois épanoui dans ce que tu fais. Lève-toi le matin, profite de ta journée. Sois content d'aller au boulot et reste positif."
A quoi penses-tu lorsque tu rentres chez toi le soir ?
M. R. :"Je pense à ma journée, à ce que j'ai fait et ce que j'aurais pu mieux faire. Une sorte d'introspection pour m'améliorer, humainement et professionnellement. Je pense aussi à mes proches. Comment garder le contact avec ma famille ? Je critiquais les réseaux sociaux tout à l'heure, mais aujourd'hui, c'est le nouveau moyen de communication. Cela me permet de rester en contact. J'ai mon père au téléphone, et j'ai aussi mes nièces tous les jours au téléphone. Quand je reviens, elles se souviennent de moi. Si on avait été 30 ans plus tôt, ça n'aurait pas eu le même impact. Si mon père, qui est mon modèle, arrivait ici, il ferait pareil. Je trouve qu'il y a un certain charme à écrire des lettres. Tu retombes dessus 20 ans plus tard, 30 ans plus tard. J'avais une patiente, une ancienne infirmière, qui m'a montré tous les mètres de lettres qu'elle avait reçues de ses anciens patients, qui étaient en centre pénitentiel dans les années 50. Elle avait gardé toutes les traces. En vrai, il n'y a pas meilleur souvenir que les lettres, que l'écrit. Le vrai écrit. Aujourd'hui, tu peux avoir des a priori, mais à l'époque, si tu lisais les lettres des personnes incarcérées, il n'y avait pas de faute. Tu sentais un attachement auprès de la cellule médicale, le lien entre le soignant et le soigné.e"
Le pouvoir des mots...
M. R. :"Quand tu écris à la main, tu es beaucoup plus réfléchi. Tu te laisses le temps de la réflexion. Tu choisis les bons mots pour les bonnes personnes. L'importance, c'est de soigner avec les mots. Même pour la communication en général, les mots qu'on emploie ont leur importance. On ne mesure pas les conséquences. La gestuelle aussi, le paraverbal... On va tellement vite qu'on ne prend plus le temps d'observer, de s'écouter, même avec nos proches. Je pense qu'on est tous un peu nostalgiques des moments familiaux de notre enfance. J'aimerais revivre ça. Est-ce que j'ai profité assez de mes proches ? Est-ce que j'ai utilisé les bons mots ? J'aurais aimé re-vivre les vacances au Maroc avec mes grands-parents. Je veux juste prendre un petit déj' avec eux, discuter, qu'ils me racontent les anecdotes de leur vie. Si tu ne profites pas, tu perds une partie de ton histoire. Et il faut emmagasiner le plus de choses de ton histoire, d'où tu viens, et les garder au fond de toi pour les transmettre aux futures générations."
Es-tu nostalgique ?
M. R. :"Il faut savoir être nostalgique, mais pas constamment. Sinon, tu bascules dans une émotion négative, tu refuses d'avancer. La nostalgie et le passé sont importants, mais il faut aussi faire place à l'instant présent, car ce sont ces moments qui deviendront la nostalgie de demain. J'ai confiance au futur. Je crois au destin. Il n'y a pas de hasard. Les personnes que tu rencontres, tu dois les rencontrer, que ce soit dans le positif ou dans le négatif. C'est le chemin que tu aurais dû prendre. Il ne faut pas se poser de questions. C'est la meilleure façon d'entrer en vie. Je crois fondamentalement au destin. Ce que je vis, je suis reconnaissant. Il faut être simple, vouloir du bien aux autres, et tu auras du bien en retour. Si tu es souriant, positif, vrai, la vie va te donner en retour. Il faut souhaiter aux gens la réussite, et on aura toujours du bien en retour."
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