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Sur un étrange vélo, Gilles Audièvre a pris un nouveau cap dans le Cher à la seule force du poignet

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Sur un étrange vélo, Gilles Audièvre a pris un nouveau cap dans le Cher à la seule force du poignet

Si j’avais un vélo, je pédalerais le jour, je pédalerais la nuit, j’y mettrais tout mon cœur. Ce refrain, Gilles Audièvre l’a seriné pendant des mois, avant de voir son rêve être enfin exhaucé. Et pour cause, il ne s’agit pas d’un simple vélo. Pas un antique Grand bi ou un Gravel tendance, mais un « handbike » comme on dit dans la langue de Froome. Dans la langue d’Alaphilippe, on parle officiellement de « vélo à main ». En fait, il s’agit d’un tricycle à propulsion manuelle et qui coûte, détail non négligeable, quelques milliers d’euros. Et une fois dessus, au lieu de pédaler, on « mandale » ! C’est comme cela qu’on dit dans le peloton, paraît-il.

Le mois dernier, le paracycliste nous a donné rendez-vous chez lui, à Saint-Doulchard (Cher), rue des pieds blancs (ça ne s’invente pas). Avant de partir à l’entraînement, il nous a présenté sa « bête de course ». Pas Icar, son croisé Jack Russel/Coton de Tuléar qui aboie dans le jardin, mais ce fameux vélo couché si particulier.

« J’occupe quasiment la même place sur la route qu’un autre vélo, assure Gilles Audièvre. Mes deux roues arrière sont au niveau de mes épaules, cela fait la même largeur qu’un guidon. Et en longueur, on a dix à quinze centimètres de plus. Sauf qu’on n’arrive même pas à la hauteur d’une roue de voiture. C’est pour cela que, sur la route, le drapeau est obligatoire. La seule chose que l’on demande aux automobilistes, c’est de nous doubler en laissant un mètre cinquante de chaque côté. Comme ça, on est tranquille ! » Ce vélo, plutôt lourd (une quinzaine de kilos), est équipé d’un « frein à main » pour le stationnement. Et d’un autre frein, sur la roue avant seulement.

 

Chaque jour de la semaine, Gilles Audièvre se lève dès potron-minet pour se rendre à l’usine Michelin de Saint-Doulchard. Sur un poste aménagé, il tresse manuellement des tringles de pneus d’avions. Ses sorties d’entraînement sont son rayon de soleil. Immuablement, il en fait quatre par semaine. En deux heures et demie, il réussit généralement à parcourir une cinquantaine de kilomètres.

Forcément, « petit poulet » - son surnom dans le peloton - ne passe pas inaperçu dans le Landerneau. Son engin suscite toujours beaucoup d’interrogations.

« Il y a d’autres cyclistes handisports, mais il n’y a pas d’autre handbike dans la région de Bourges, précise-t-il. Je comprends que ça puisse intriguer ou impressionner. J’ai même déjà été coursé par la police quand je tournais dans le quartier. À la sortie d’une descente, je suis passé devant les agents et j’ai tout balancé avant d’aborder la montée. Ils ont mis le gyrophare et doublé la colonne de voitures pour voir de plus près ce que c’était. Quand ils sont arrivés derrière moi, ils ont compris et m’ont laissé tranquille. »

 

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Pour pouvoir faire des compétitions, rien n’est simple. Gilles Audièvre a souscrit trois licences. D’abord en UFOLEP (*) au Team vélo Bourges, le premier club qui lui a ouvert ses portes ; une deuxième à l’ASSHAV Para-cyclisme de Poitiers (Vienne) et une troisième en FFC (*) à La Chapelle Saint-Ursin.

« Je veux aller chercher cette médaille, pas qu’on me la donne. Je me crée des objectifs. C’est comme cela que j’avance et que je me projette. »

Après un premier test chronométré disputé en août 2020, le paracycliste du Cher a participé à ses premiers championnats de France deux mois plus tard, en Haute-Savoie. Aligné dans la catégorie MH5 (lire encadré ci-dessous), il a remporté deux médailles. Ils étaient trois, dans chaque course. Lors des prochains championnats de France de cyclisme handisport qui doivent se dérouler les 29 et 30 mai dans l’Ain, Gilles Audièvre ambitionne de grimper sur la deuxième marche du podium.

 

 

« L’Alsacien qui est devant, je vais le manger !, plaisante-t-il. Je veux aller chercher cette médaille, pas qu’on me la donne. Je me crée des objectifs. C’est comme cela que j’avance et que je me projette. Je ne veux pas montrer le mauvais côté du handicap à ma femme et à mon fils de 17 ans. Aujourd’hui, papa est debout, il se bat et il met sa prothèse tous les matins pour aller dès cinq heures à l’usine. »

Amputé, délivré, libéré

Sa descente aux enfers a commencé à la fin de l’année 96 après une blessure survenue lors d’un match de basket. Malgré une première opération en 2000, sa cheville fragilisée continue à le faire régulièrement souffrir. S'ensuivent les premiers traitements ; les piqûres ; un accident au travail et une nouvelle opération en 2008 pour lui greffer des ligaments. « En 2014, je ne peux plus supporter la douleur, reprend Gilles Audièvre. Le simple contact d’une chaussette ou d’un drap était insupportable. J’allais travailler en prenant de la morphine. J’étais une loque, un mort vivant. Je voulais mourir. »

Après un passage de trois semaines en centre antidouleurs, il se fait poser douze vis pour bloquer définitivement sa cheville, contre l’avis du chirurgien qui préconise une amputation. Ce dernier l’envoie ensuite au centre de rééducation et réadaptation fonctionnelle d’Issoudun. S’il n’a rien à faire dans cet établissement, Gilles Audièvre va comprendre, au contact des autres, ce qui est devenu inéluctable. Il va s’y résigner à l’âge de 42 ans.

 

 

« Le jour où on m’a amputé c’est comme si on éteignait la lumière, raconte-t-il. Quand je me suis réveillé, j’avais toujours un traitement médicamenteux mais plus de douleurs. J’ai fini ma petite nuit tranquille, sans pompe à morphine. J’ai dormi comme un bébé, ce qui ne m’était plus arrivé depuis des années. Heureusement que ma famille était là, c’est ce qui m’a aidé à tenir pendant tout ce temps. »

Et même du ski nautique !

L’année 2016 marque ainsi le début d’une nouvelle vie pour lui. Libéré du poids de la douleur, il reprend le sport : du hand-fauteuil, du Basket-fauteuil au CJM Bourges... Il termine en 7 h 30 la randonnée Bourges – Sancerre, participe à deux défis inter-entreprise en canoë et s’essaie même au ski nautique à Éguzon (Indre).

C’est en participant à une course caritative de 24 heures sur la base aérienne d’Avord, la 3V, qu’il fait ses premiers tours de roues avec un handbike qu’on lui a prêté. C’est une révélation, mais le prix de l’engin est rédhibitoire. L’année suivante, sur cette même course, les organisateurs de l’événement s’arrangent pour récupérer un modèle d'occasion qu’ils lui offrent lors de la remise des prix. « Ce fut un moment fort, se rappelle-t-il. Toute la famille était en larmes. Pour moi, c’était du plaisir. Surtout, un avenir qui se dessinait. Le sport a remplacé le traitement, la morphine. »

Et pour les jours gris où il a moins envie de sortir le vélo, Gilles Audièvre a une technique bien a lui. « Je prends ma prothèse et je me mets un bon coup de pied au c... ». Même avec un « morceau » en moins, il reste quelqu’un d’entier qui n'a pas perdu son sens de l’humour !

Les MH5, les casques noirs

Pour pouvoir participer à une course, le coureur paracycliste doit être évalué par une commission nationale de classification. En handbike, pas moins de cinq catégories existent afin de permettre aux coureurs de se mesurer à des adversaires ayant le même niveau de handicap. Gilles Audièvre fait partie de la catégorie MH5. Le premier caractère détermine le sexe : W ou M (pour femme ou homme, en anglais). Le second correspond au type de vélo (H pour Handbike). Le 5 fait référence la classe sportive : ici, celle des « athlètes possédant le handicap minimum ». La posture de pédalage se fait généralement à genoux, pour aller plus vite. Ce n’est pas le cas de Gilles Audièvre qui ne dispose pas du matériel idoine et roule en position couchée. Une couleur de casque est attribuée à chaque catégorie lors des courses en peloton. Pour les MH5, il s’agit de la noire.

Philippe Roch

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