Mon souvenir de l'année 2019 : le 13 novembre

En cette matinée ensoleillée de novembre, toute la presse cycliste française est là. Rassemblée dans la petite salle de la mairie de Vaujany, station de sports d'hiver familiale de l'Isère située à quelques kilomètres de l'Alpe d'Huez, lieu emblématique du Tour de France. C'est dans ce village, où la quiétude règne encore, que la formation AG2R La Mondiale a choisi d'effectuer son stage de rentrée. Et c'est ici que Romain Bardet s'apprête à annoncer son futur programme. Tour de France ? Tour d'Italie ? Depuis la veille, les spéculations vont bon train. L'ambiance est bonne enfant, et l'excitation palpable. Romain Bardet, qui a construit brillamment son début de carrière autour de la Grande Boucle, va peut-être annoncer qu'il renonce pour la première fois à prendre le départ du Tour de France. D'ici une poignée de minutes, tout le monde allait enfin être fixé.

C'est alors que je sens mon téléphone vibrer. Il s'agit probablement de ma rédaction qui me contacte pour caler les sujets. Je saisis donc mon smartphone. Mais il ne s'agit pas d'un message de la part de mes collègues. L'annonce sur l'écran est toute autre... Raymond Poulidor, figure iconique du cyclisme tricolore , est décédé dans la nuit. La nouvelle se répand dans toute la salle. L'ambiance a brusquement changé. Les sourires et l'excitation ont laissé place à des visages nettement plus fermés que les têtes baissées peinent à dissimuler.

Vincent Lavenu, manager de la formation, et Romain Bardet, pénètrent aussitôt dans la salle de presse. L'émotion est palpable. La triste actualité prend le pas sur le reste. Avant toute chose, le dirigeant et le coureur cycliste veulent rendre hommage à l'immense champion. Romain Bardet prend alors la parole. Avec des mots très justes, empreints de sincérité et de respect. Des paroles touchantes qui ramènent à l'essence même du cyclisme. À ses valeurs populaires. L'incarnation même de ce qu'était « Poupou », personnage adulé des Français.

"C’était vraiment un trait d’union générationnel"

« C’est une triste nouvelle parce que c’était un personnage vraiment emblématique du cyclisme. C’est quelqu’un qu’on voyait très régulièrement et qui était adoré du public. Il faisait aussi le lien entre ce cyclisme rural, ancré dans les territoires, et les grandes courses où il était toujours invité par les organisateurs. C’était vraiment un trait d’union générationnel. Je me souviens de lui sur certaines courses où j’étais en amateur, c’était des courses de clocher. Lui amenait ce rêve du Tour de France dans les villages. Il créait ce lien-là. C’est une grande perte pour la famille du cyclisme. »

Avec du recul, impossible de ne pas penser que ces mots ne font pas écho au virage entrepris par Romain Bardet. Quelques minutes plus tard, l'Auvergnat annonçait qu'il ne prendrait pas le départ du Tour de France. Usé mentalement par des programmes à répétition et des saisons se ressemblant point pour point. En quête de nouveaux challenges et de nouveaux défis, Romain Bardet a souhaité découvrir d'autres courses afin de retrouver du plaisir et de l'enthousiame. Des sensations qu'il est d'ailleurs venu chercher sur les cyclocross régionaux. Dans la boue, avec ses amis, loin des projecteurs... « Le vrai cyclisme rural ancré dans les territoires », comme il l'avait signifié pour rendre hommage au champion. La philosophie « poulidorienne »  semble donc influencer encore ses héritiers. Dans un sport aussi populaire, dans le sens premier du terme, que le cyclisme, c'est forcément une nouvelle rafraîchissante. 

 

Arnaud Clergue