L'extraordinaire aventure des frères Régent qui ont vaincu le triathlon de Vichy malgré le handicap
Profondément attaché à son frère, "handicapé psychomoteur à 80 %", Thomas Régent hésiterait presque à accepter de parler de lui seul. "Il faut aussi évoquer Baptiste car, dans cette aventure, ce n’est pas “je” mais “nous”", pose-t-il comme condition avant l’entretien.
"L’aventure", c’est un exploit largement relayé dans les médias ou les réseaux sociaux. À Vichy, samedi 19 août, les deux frères franchissaient la ligne d’arrivée de l’Iron Man (70.3) après 9?h?30 d’effort pour 1,9 kilomètre de natation, 90 kilomètres de vélo et 21,1 kilomètres de course à pied. Thomas, le moteur, celui qui tracte et pousse Baptiste, le carburant, qui, par sa seule présence et sa joie manifeste, encourage son grand frère à se dépasser.
"J’ai eu l’impression de voler durant la partie nage où je tractais Baptiste sur un bateau, puis sur le vélo tricycle, mais avec la chaleur, la partie course à pied a vraiment été compliquée, se souvient le grand frère qui doit alors pousser le fauteuil roulant dans lequel est installé son cadet. J’ai posé un genou à terre, Baptiste, qui ne communique qu’avec quelques mots a alors mis sa main sur la mienne. Je me suis relevé, il n’était pas question d’arrêter."
La révélation devant un film en 2017L’image est biblique. La genèse de cet exploit pourrait l’être tout autant. Thomas Régent est de ceux qui mettent des mots sur les choses et délivre une analyse construite et détaillée de sa relation particulière avec Baptiste. Comme si, depuis la naissance du petit frère, les événements s‘étaient enchaînés par une suite logique, une sorte de destinée.
"Depuis sa naissance en 2005, je suis très proche et me suis beaucoup occupé de lui. Ce n’est pas me vanter mais je pense que c’est comme s’il avait eu un kiné à la maison, il a déjoué tous les pronostics qui affirmaient qu’il ne pourrait pas marcher."
Grand sportif, des années d’escrime jusqu’au niveau National 2, le Maringuois goûte au vélo, passion familiale, dès 2014, et entraîne Baptiste dans sa roue. "Le fauteuil roulant était attaché à un mono-cyclable avec un moteur. Aujourd’hui, le matériel est plus sophistiqué. Nous avons pu le financer grâce à notre association Le sport de Titou dont je suis aussi le président. »
Du petit triathlon à l'Iron ManPuis vient la révélation en 2017 après le visionnage du film De toutes nos forces (2013) où un fils tétraplégique franchit la ligne d’arrivée d’un Iron Man avec son père, à Nice. La trajectoire est désormais tracée, comme une évidence.
Photo Alpe-d'Huez Triathlon
Viendront de petits triathlons (taille S) puis la certitude, lors d’une épreuve à l’Alpe-d’Huez que l’Iron Man 70.3 (c’est-à-dire de moitié moins long que l’Iron Man) était réalisable. Désormais licencié au Life Tri de Vichy, sous la houlette du champion de France de triathlon 2008 Yohan Vincent, Thomas Régent se plie à une discipline de fer. Jusqu’à sept séances (natation, course à pied, vélo) par semaine pendant un an pour réussir sa "mission".
Et après??Car oui, le jeune homme se sent investi d’une responsabilité avec laquelle il s’est construit année après année. Un peu à l’image des héros de Stars Wars, autre grande passion du Maringuois. "Mon personnage préféré est Anakin Skywalker parce qu’il a constamment une pression sur les épaules et qu’il a une mission qui peut le faire basculer dans le bien ou le mal", détaille Thomas. Aussi courageux et organisé soit-il, le Maringuois ne s’attendait pourtant pas à un autre combat à livrer. Il lui fit, lui aussi, mettre un genou à terre.
"Après l’Iron Man de Vichy, j’ai eu comme un gros coup de blues. Notre course a été relayée sur les réseaux sociaux avec pour certains, près d’un million d’abonnés, j’ai fait plusieurs interviews."
Pour cet hyperactif et surtout grand timide, la mise en lumière fait naître en lui le syndrome de l’imposteur. Celui qui ne se sent pas à sa place. La démarche a impressionné. Le duo est très vite sollicité pour participer à d’autres courses. "Mais moi, je ne veux pas être un ambassadeur de quoi que ce soit. Que les gens applaudissent, à la rigueur ça m’est égal. Ce que je veux avant tout, c’est que Baptiste prenne du plaisir", développe le grand frère.
L'objectif, c'est le plaisirEt surtout, après l’exploit, comment envisager l’avenir en binôme. Voir encore plus grand?? Non, il s’agit de construire dans la durée. "Après un bac S et des études de Staps, je me suis installé à Bellerive-sur-Allier (Allier) pour passer mon diplôme de maître nageur au Creps. Je veux installer des bases solides pour poursuivre ensuite avec mon frère", dévoile Thomas.
Iron Man ou non, Baptiste entre aujourd’hui dans sa majorité. "Dans son Institut médico-éducatif (IME), c’est quelqu’un de très souriant avec beaucoup de joie de vivre", explique Thomas. Un épanouissement qui doit probablement beaucoup à Thomas et qui vaut la plus belle des médailles.
Yann Terrat