Transat Café l’Or. Le scénario en Ultim par Benjamin Schwartz (Sodebo) et Julien Villion (Actual)
Les quatre trimarans engagés dans la classe Ultim s’élanceront sur un parcours de 6 200 milles jusqu’à Fort-de-France, en Martinique. Benjamin Schwartz naviguera aux côtés de Thomas Coville sur Sodebo Ultim 3 et de Julien Villion sur Actual Ultim 4. Ils nous livrent le scénario météo qui se profile — et qui ne s’annonce pas simple dès les premiers jours.
Julien Villion : « Le départ s’annonce tonique. On va être très vite à haute vitesse. Cela va aller vite dès la sortie de la Manche. On a du vent qui va monter crescendo. Rien de dramatique pour les bateaux, mais cela va nécessiter beaucoup de manœuvres avec le trafic. Il y a beaucoup de pièges à éviter pour passer le Cotentin et la Grande-Bretagne. Pour les premiers jours de course, on va avoir un enchaînement toutes les douze heures avec une première dorsale à passer dans le golfe de Gascogne, puis une dépression au large du Portugal. Chaque phénomène météo et chaque transition arrivent très vite. Cela veut dire changer de voile, changer d’allure. Jusqu’aux Canaries, cela va être très dense, cela va bien s’enchaîner et ouvrir des opportunités. On est sur des temps assez rapides jusqu’au Pot-au-Noir. »
Benjamin Schwartz : « Il y a un premier passage à niveau — qui n’en est pas vraiment un. C’est cette première dorsale dans le golfe de Gascogne, lundi après-midi, dont il va falloir sortir rapidement avant qu’elle ne se renforce. C’est le premier danger de cette course : ne pas rester bloqué, au risque de voir ses camarades s’échapper.
Une fois lancé dans la dorsale, il va falloir voir comment on en sort pour longer la dépression au large du Portugal, et là, les trajectoires de ce genre de phénomènes sont très difficiles à anticiper. Ce sont des phénomènes difficiles à modéliser par les algorithmes. On n’est pas capable de dire où sera cette dépression mardi — au large ou proche du Portugal. On sait qu’il y aura cette dépression, que l’on va contourner par l’est au près, mais sans connaître sa trajectoire ni son intensité. »
Cette météo va-t-elle favoriser un bateau plus qu’un autre ? « On sait qu’entre San Pedro et l’Ascension, ce tronçon se fera au près, et cela pourrait favoriser davantage SVR–Lazartigue, en early flight, parce qu’il vole un peu plus tôt que les autres.
Mais pour le reste de la course, tout reste ouvert. La clé, c’est la vitesse, et sur ces bateaux, dès qu’on va plus vite que son concurrent, c’est rapidement 50 mètres d’écart. Le jeu reste ouvert en stratégie : les vitesses entre les bateaux sont très similaires. Ce sont des machines qui demandent en permanence des réglages. On est souvent sous pilote, et il est difficile de rester concentré plus de 45 minutes à la barre.
Ce sera une course de vitesse dans les alizés. Il y aura du jeu et des embûches à chaque tronçon. »
Pour sa neuvième participation, Thomas Coville a choisi de faire équipe avec Benjamin Schwartz, un marin certes novice sur cette course, mais expérimenté en multicoque. L’objectif des deux hommes étant clairement de jouer aux avant-postes. Thomas Coville, 57 ans, huit participations à la Transat Café L’Or (ex Jacques Vabre), dont deux victoires (1999 en Imoca, 2017 en Ultim), l’un des marins les plus expérimentés de la planète en multicoque océanique. Benjamin Schwartz, 38 ans, « bizuth » sur la transat en double, mais déjà un solide bagage au large, puisque, avant d’intégrer l’équipe Sodebo Voile en fin d’année dernière, il avait déjà couru en Figaro, en Imoca et en Ultim.
“Cette expérience sur le Trophée Jules Verne m’a donné l’occasion de découvrir un équipage, une équipe et un sponsor, qui ont tout fait pour me mettre à l’aise et m’ouvrir toutes les portes. J’ai vraiment apprécié cet environnement de travail et la confiance dont tout le monde a fait preuve à mon égard”, confie ce dernier. Avant d’ajouter : “Quand, au retour du Jules Verne, Thomas m’a proposé de l’accompagner sur la transat, j’ai accepté avec plaisir. Cela peut paraître atypique de courir sa première Transat Café L’Or en Ultim seulement maintenant, mais je navigue sur des maxi-trimarans depuis 2018. Surtout, je suis accompagné par un des grands marins de sa génération, celui qui a le plus tourné autour du monde en solitaire sur un multicoque, que je regardais dans les magazines quand j’étais gosse. C’est une chance énorme de naviguer avec Thomas et d’apprendre de son expérience.”
Pour Thomas Coville, le choix de Benjamin Schwartz a répondu à un double objectif. “Il y a d’abord le fait que le routage extérieur ne soit plus autorisé sur la Transat Café L’Or à partir de cette édition. Dans ce domaine, Benjamin apporte une vraie plus-value, il a été très pertinent dans les choix des fenêtres météo sur la dernière tentative de Trophée Jules Verne et c’est quelqu’un qui maîtrise particulièrement bien tous les outils.” Surtout, le skipper de Sodebo Ultim 3 a été séduit par la volonté affichée de son co-skipper “de faire progresser le projet”, quitte à bousculer certaines habitudes.
“Le danger d’un projet de compétition, c’est l’absence de remise en question, ajoute-t-il. Je suis très attaché à la notion d’altérité, qui permet d’aller chercher des choses chez l’autre que tu ne peux pas forcément trouver tout seul. C’est exactement ce que Benjamin a réussi à nous apporter. Il a su nous challenger dans un unique but : celui de nous aider à atteindre un niveau au-dessus pour aller chercher les meilleurs. J’y ai retrouvé un ressort personnel extraordinaire.”
Qu’en pense Benjamin Schwartz ? “Toutes les équipes cherchent à progresser, mais il y a sans doute des moments dans la vie des projets où il y a besoin de sang frais et d’un regard extérieur, c’est ce que j’ai tenté d’apporter en arrivant dans l’équipe. D’abord en cherchant à comprendre pourquoi certaines choses étaient faites, ensuite en essayant de proposer des solutions ou des améliorations. Avec Thomas, nous avons également fait venir des intervenants extérieurs dans différents domaines pour évoluer. La force de notre duo, c’est que nous n’avons pas peur de l’effort physique et de se dire les choses en toute transparence. Nous avons vraiment à cœur de dérouler une belle copie, ce serait le meilleur moyen de récompenser notre travail, celui de l’équipe, mais aussi l’engagement de notre partenaire”
Si le routage extérieur n’est plus autorisé en Ultim pendant la Transat Café L’Or, Thomas Coville et Benjamin Schwartz peuvent en amont du départ préparer leur route avec des spécialistes de la météo, et notamment avec Philippe Legros qui fait partie du Team Sodebo. Les premières analyses tendent à un départ vivifiant, avec du vent de nord-ouest d’une vingtaine de nœuds qui va obliger la flotte à tirer des bords pour rejoindre la pointe du Cotentin. Ensuite, les Ultim devraient filer dans 20-25 nœuds et une mer assez chaotique sur un seul bord jusqu’à Ouessant qu’ils devraient atteindre dimanche soir.
La suite du programme ? Ils feront route vers le cap Finisterre avec une dorsale anticyclonique à négocier. La suite est complexe, avec une dépression qui se place du côté des Açores et sur laquelle l’équipe aura un œil attentif… D’ici dimanche les fichiers, les calculs et les routages vont tourner à plein régime pour établir la meilleure stratégie.

