Voiles de Saint-Tropez. Souvenirs et confidences de Loick Peyron
Les conditions printanières à Saint-Tropez régalent les équipages qui enchaînent les courses, tout comme le public, qui assiste chaque jour à un spectacle grandiose. Le soleil et la brise étaient au diapason ce mercredi, dans le golfe de Saint-Tropez. Profitant d’un thermique qui n’a eu de cesse de prendre du coffre tout en restant amical, l’ensemble des flottes des Modernes et des Traditions s’en sont donné à cœur joie sur leurs parcours côtiers respectifs. A l’extérieur du golfe, le vent plus imprévisible et les transitions supposaient encore une fois d’être agile et éclairé dans ses choix.
Modernes et Traditions en rangs serrés
Les départs sont un joli moment mais le spectacle de certaines arrivées méritent le détour. Cet après-midi les premiers Modernes emmenés par Vesper et Nanoq Final Final cavalaient sous code zéro vers la ligne avec en toile de fond un ciel plombé et les premiers Traditions serrant le vent depuis Saint-Raphaël pour passer la ligne à la bordée. On reconnaissait facilement les 50 mètres de spruce du mât de Cambria, lancé à la poursuite d’Elena of London, premier Tradition du Trophée Rolex à boucler son parcours, avec Marilee, le New York 40 nouveau venu aux Voiles qui s’invitait à la fête. En arrière plan, la goélette Atlantic tout dessus rattrapait les P class, un joli tableau assurément.
Pride, le légendaire Swan 44 américain de la famille Graves arrivait à son tour, impeccablement réglé. Il empochait sa troisième victoire consécutive dans sa classe, brillant en réel et intouchable en compensé avec son allégeance d’âge, lui qui est à l’origine de la Nioulargue suite au défi qu’il lançait au 12 m JI Ikra en 1981.
Réparer n’est pas jouer
C’est un dicton qui fait sourire le jury des Voiles de Saint-Tropez : « Si tu veux garder une règle secrète, inscrit-là dans les instructions de course ! » Cette année aux Voiles de Saint-Tropez, les bateaux qui volent le départ sont automatiquement rétrogradés de 5 places au classement de leur manche. Une règle initiée aux Régates Royales de Cannes, écrite pour éviter les retours vers la ligne avec tous les risques que celà comporte, notamment avec une flotte hétéroclite brassant des bateaux de toutes tailles, dont certains ont une valeur patrimoniale inestimable.
Chez les Modernes, plusieurs bateaux en ont fait les frais à l’image de Nanoq Final Final, théorique vainqueur de la manche en compensé et rétrogradé à la sixième place. D’autres ne découvraient que ce soir le texte, à l’image d’Albator qui est venu réparer au comité après son départ volé. Double peine donc puisqu’aux 5 points supplémentaires automatiques, s’ajoutait un départ en second rideau pour celui qui pointait hier à la quatrième place du classement provisoire.
Toujours sur le plan règlementaire, il faudra quatre manches courues chez les Modernes pour que chacun puisse retirer son plus mauvais résultat.
Un Day off profitable à tous
Après deux manches courues en baie de Pampelonne, le traditionnel day-off des Maxis le mercredi tombe à point nommé. Analyse des données pour les uns, changement de voiles à l’approche d’une deuxième partie de la semaine plus ventée pour les autres, cette césure a aussi été mise à profit pour réparer Galateia, parti hier à La Ciotat suite à sa collision de lundi qui l’a privé de régate mardi. Bonne nouvelle, le Wally Cento de David M Leuschen sera de retour jeudi dans la compétition.
Les propriétaires de Maxi s’étaient aussi donné le mot pour se rejoindre au Club 55 à midi afin de témoigner leur amitié à Patrice de Colmont, l’initiateur de la Nioulargue, lorsqu’en 1981, il recevait dans son restaurant les équipages de Pride et Ikra à l’issue de leur régate. Le célèbre restaurant sera à nouveau le théâtre de belles rencontres demain jeudi, jour des Défis des voiles de Saint-Tropez.
Magic Carpet e : Un squale dont il faut déchiffrer le langage
Avec son tableau arrière XXL, sa robe bleu luisante et sa ligne de pont qui plonge vers un museau bien rempli, Magic Carpet e recueille tous les soirs les suffrages du public massé sur le quai. Experts ou néophytes peu importe, tout le monde comprend qu’il y a chez cet animal marin une volonté de casser les codes. « Lindsay (Owen Jones) cherche toujours des innovations. Depuis trois ans, il voulait faire un nouveau bateau mais n’a pas vraiment trouvé l’élément déclencheur, jusqu’à ce que Guillaume Verdier présente ce plan magnifique » confirme le boat captain Danny Gallichan. Le Britannique qui suit l’armateur depuis 30 ans, boat captain de tous ses Magic Carpet, mettra un terme à sa vie professionnelle l’an prochain mais continuera à naviguer à bord de ce bateau dont il a suivi toute la genèse : « Nous avions commencé à travailler en parallèle avec Edouard Bell sur la possibilité de faire un bateau électrique pour atteindre l’autonomie sur une journée, à équivalence de masse, ce qui n’est pas simple ! » Convoyage vers la zone de départ, alimentation de toute l’hydraulique du bord, et retour au quai, Magic Carpet e est le seul Maxi de cette taille (30,50 mètres) capable de régater une journée complète sans démarrer son moteur thermique de secours, nécessaire uniquement pour les longs convoyages.
Innovant sur le volet énergie, Magic Carpet e qui concourt pour le Trophée Edmond de Rothschild, l’est aussi dans l’ensemble de son architecture. La quille de 7 mètres bascule latéralement et pivote également en faisant penduler son bulbe pour ramener le tirant d’eau à moins de 5 mètres, indispensable pour rentrer dans son port d’attache de Saint-Tropez. Le bateau pèse 37 tonnes, 10 de moins qu’un Wally Cento avec une carène très tendue qui s’apparente plus à celle d’un IMOCA qu’à un Maxi traditionnel. Pour compenser la perte de plan antidérive, le plan Verdier est équipé d’un long canard à l’axe du bateau plutôt que de deux dérives, trop encombrantes dans les aménagements. Un canard qui pivote latéralement et s’angule en incidence pour maximiser le bilan portance/trainée. Ajoutez à celà deux safrans relevables et voilà une combinaison presqu’infinie de réglages auxquels s’ajoutent ceux des voiles, à la configuration inédite : le mât de 46 mètres est très reculé, générant un gigantesque triangle avant.
Le pilotage de tous les paramètres se fait par une console presse boutons que tient en bandoulière Danny pendant les régates, échangeant avec le barreur et les régleurs pour trouver les meilleurs compromis. « Nous avons navigué 120 jours depuis le lancement, mais on a encore tout à apprendre dit le boat captain. Les marges de progression sont énormes. Je pense qu’il n’y a rien de fondamental à changer sur le bateau mais tout est à ré-apprendre. Bien sur l’architecte présente des shifts mais il faut ensuite vérifier ce qui se passe dans la réalité ». Ce day off des Maxis a donc été mis à profit pour une nouvelle analyse des datas, à laquelle se livre quotidiennement l’équipage composé de 21 marins. Retour à la compétition demain.
Loick Peyron : Je suis plus Herreshoff que Fife !
En visite aux Voiles de Saint-Tropez comme ambassadeur BMW, l’un des partenaires des Voiles, Loïck Peyron débarque en voisin puisqu’il régatait encore la semaine dernière à Porto Cervo sur le TP 52 Paprec. Souvenirs et confidences d’un passionné.
Ton premier souvenir de la Nioulargue ?
C’était en 1985, avec mon petit catamaran Lada Poch, nous venions de terminer le premier Tour de l’Europe qui arrivait à Porto Cervo. Ça fait exactement 40 ans ! On est arrivé dans le port à la voile comme des beatniks au milieu des Maxis. Je faisais déjà de la bagnole avec Lada et j’ai retrouvé ici Didier Pironi qui m’a tracté avec son offshore un jour sans vent avec les « girelles » en porte-jarretelles qui distribuaient du champagne à gogo. C’était les années 80 quoi ! En tous cas, j’ai tout de suite compris qu’il y avait une semaine dans l’année où Saint Tropez était très supportable !
Le lendemain, on a été invité à courir. Tout le monde prenait le départ en même temps. Je me suis retrouvé sur la ligne juste sous le vent du Maxi Kiaola de Jim Kiloy, la bave aux lèvres. Ce monde du yachting professionnel ne nous aimait pas vraiment. Il y avait un gap énorme entre les multicoques et les monocoques.
De l’eau a coulé sous les ponts et justement, chez les Maxis aujourd’hui, certains réclament une classe multicoque dans les grands événements. Qu’en penses-tu ?
Sincèrement, ça ne me parait pas indispensable. On voit bien avec les Gunboats qui sont construits comme des Formule 1 et en même temps très confortables et luxueux, donc pile dans la cible, qu’on a énormément de mal à les intégrer. Les clients sont en demande mais ils sont en croisière un peu partout dans le monde et lorsque les organisateurs, l’IMA, Porto Cervo ou Saint-Tropez ouvrent la porte, il n’y a pas vraiment de clients. Je crois que les multicoques peuvent jouer entre eux. Avant le Covid, il y a eu d’ailleurs de très beaux rassemblements aux BVI (British Virgin Island). Mais que les courses de Maxis restent l’affaire des monocoques, je trouve ça finalement très bien.
Quels bateaux t’émeuvent le plus aux Voiles de Saint-Tropez ?
J’ai un faible pour les classiques et surtout ceux qui avaient un peu d’avance sur leur temps. Je garde en mémoire un petit bateau suédois il ya quelques années construit comme un petit avion, riveté, avec une structure intérieure tubulaire. Une petite merveille ! Bref, je suis beaucoup plus Herreshoff que Fife !
Et puis ce qui m’émeut aussi, c’est la passion des propriétaires, avec une angoisse sur la transmission. Je remarque que les ayant-droit n’ont pas toujours la passion de leurs aïeux, même s’ils ont les moyens. Et dans les clubs, les mômes se passionnent plus par la wing foil que l’envoi ou l’affalage de spis de 300 m2 !…