Port du voile : de François Bayrou à Bruno Retailleau, divergences au sommet de l’Etat
Si Bruno Retailleau était à Matignon, Marie Barsacq ne serait plus ministre des Sports. Interrogée par les députés, mercredi 12 mars à l’Assemblée nationale, elle avait expliqué : "Les sujets de radicalisation dans le sport sont un autre sujet que le sujet du port du voile et d’insignes religieux." Avant d’ajouter : "Toutes les femmes qui portent le voile ne font pas de l’entrisme", lequel "ne se résume pas au voile". Son entourage avait ensuite été obligé de préciser à L’Equipe qu’elle était "alignée avec la position favorable du gouvernement à la proposition de loi de Michel Savin telle qu’elle a été amendée".
Le texte interdit le port de signes ou tenues manifestant ostensiblement une appartenance politique ou religieuse lors des compétitions organisées par les fédérations sportives, leurs ligues professionnelles et leurs associations affiliées, le gouvernement ayant ensuite fait passer un amendement limitant le champ d’application "aux compétitions sportives organisées uniquement par les fédérations délégataires de service public". La ministre serait ainsi dans une "position d’équilibre" entre l’interdiction du port de signes religieux en compétition et la liberté de pratiquer des sportifs amateurs, en particulier des femmes voilées.
"Je suis en désaccord radical avec elle"
Dimanche, dans Le Parisien, Bruno Retailleau a usé pleinement de la liberté laissée à chaque ministre de s’exprimer comme il l’entend. "Je suis en désaccord radical avec elle. Je rappelle à Marie Barsacq que le Sénat a voté la proposition de loi sur la laïcité dans le sport. Le gouvernement y était favorable et l’est toujours. Le fondamentalisme n’a aucune place dans le sport. Or, au ministère, j’ai un certain nombre d’informations qui démontrent un entrisme islamiste dans le sport, notamment des Frères musulmans. Je rappelle, et notamment aux féministes, que le voile n’est pas une liberté mais une soumission de la femme."
Il n’aime pas le voile, mais il a deux casquettes. Il y a le ministre de l’Intérieur et il y a le candidat à la présidence de LR, et c’est bien ainsi que François Bayrou le voit et l’entend. Mais le silence de Matignon à la suite de cette altercation publique entre ministres s’explique par une autre raison. Selon les informations de L’Express, le chef du gouvernement n’est pas en désaccord avec Marie Barsacq. A Pau, on aime le rugby et François Bayrou a vu, sans s’en émouvoir, la finale du rugby à 7 féminin : deux joueuses avaient une combinaison qui était leur manière de se couvrir la tête. Il mesure le trouble que provoque cette affaire chez les jeunes femmes musulmanes.
De même, Bruno Retailleau, en janvier, avait estimé – toujours à titre personnel - que "les accompagnatrices de sortie scolaire n’ont pas à être voilées" : "Les sorties scolaires, c’est l’école hors les murs." "Il ne faut pas qu’elles soient dans les sorties scolaires ? Ah bon, ce n’est pas leur maman ?" estimait le Premier ministre en privé. La ministre de l’Education, Elisabeth Borne, avait alors demandé l’organisation d’une petite réunion des ministres d’Etat pour éviter un gouvernement totalement "cacophonique", d’autant que Bruno Retailleau préconisait également l’interdiction du voile à l’université.
François Bayrou a une double histoire sur ce terrain. En 1994, alors ministre de l’Education nationale, il diffuse une circulaire interdisant le port de symboles ostentatoires au sein des établissements scolaires, ce qui lui permet de faire valoir sa fermeté. En 1998, pour le 400e anniversaire de l’édit de Nantes – qui reconnaissait la liberté de culte aux protestants après des décennies de guerre de religions –, il publie l’un de ses livres préférés, l’un des plus personnels qu’il ait écrits, aussi : Ils portaient l’écharpe blanche. L’abolition de ce texte pacificateur l’a toujours énormément marqué et il estime qu’aujourd’hui ressemble à hier. "C’est pareil, tous ceux qui étaient pour l’abolition applaudissaient passionnément, la France y a laissé la peau et l’arrière-arrière-petit-fils d’Henri IV (Louis XVI) y a laissé la tête", observait-il récemment en petit comité.
Macron considère que ce n’est pas son sujet
A l’Elysée, Emmanuel Macron reste coi, mais il a déjà eu l’occasion de dire ce qu’il pensait. Il considère que le voile dans l’espace public, ce n’est pas son sujet. A Valeurs actuelles, en 2019, il déclare : "Mon problème n’est pas la maman qui porte un voile en accompagnant son enfant en sortie scolaire… Celle-là n’est pas perdue : elle a mis son enfant à l’école publique et elle vient faire une sortie scolaire. C’est même par elle qu’on va reconquérir les personnes égarées. […] L’enfant qui est bien intégré, dont les parents sont musulmans, il n’embête personne. Sa mère a un foulard, elle n’embête personne, on ne peut pas lui dire : 'vous n’êtes pas la bienvenue'. Ça, c’est une énorme erreur."
Pendant la campagne présidentielle de 2022, le président-candidat vise Marine Le Pen quand il croise une femme voilée à Strasbourg : "Vous êtes féministe et vous portez le voile. C’est la meilleure des réponses aux bêtises que j’entends." Le voile, ce nouveau clivage français qui n’est pas près de disparaître.