Jack Setton et Jaro. En quête d’absolu
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Jaro est un bateau d’exception, mais certainement pas un caprice de milliardaire. Plutôt l’aboutissement d’une longue quête du voilier parfait par un passionné exigeant, incapable de transiger avec ses rêves. Photos : Jean-Marie Liot.
très peu, même en barrant sous le vent. © JM Liot[/caption]
très étroit : la balade solitaire à la journée © JM Liot[/caption] Ce serait mal le connaître. Mais le connaît-on vraiment après trois petites journées dans son domaine sarde de l’arrière-pays de Porto Cervo ? Une chose est sûre : on le connaît mieux que si on s’était arrêtés à sa réputation. Les gens qui le connaissent renoncent souvent à le décrire, ils vous préviennent juste par petites touches énigmatiques. « Tu vas rencontrer Jack, ah, tu vas voir… C’est un sacré personnage… », le genre de petite phrase qui ne vous apprend rien mais vous inquiète un peu. Allons-nous rencontrer un milliardaire blasé, un passionné hyperactif, un collectionneur obsessionnel ? Rien de tout cela. Jack se présente d’abord comme un homme charmant. Sobre et direct dans ses échanges, il ne perd pas de temps en mondanités mais se met en quatre pour ses hôtes. [caption id="attachment_195633" align="aligncenter" width="500"] A la barre, Jack a sa récompense : le plaisir d’un bateau en harmonie avec les éléments. © JM liot[/caption]
tous très élancés, est la clé du plaisir de barre. © JM liot[/caption] Les postes de barre implantés aux deux extrémités de la barre de ce T encadrent deux gros winches de drisse devant une modeste batterie de bloqueurs. Plan de pont minimaliste et très direct : les drisses et bosses de ris sont en provenance du pied de mât, une poulie, un seul renvoi à 90°. Seule concession au confort : le bimini monté sur une structure en aluminium. Structure peut-être un peu imposante au vu de la sobriété ambiante, mais il faut bien se protéger des ardeurs du soleil sarde.
Sommaire :
- L'histoire
- L'avis de l'architecte
- Jaro : Visite guidée en images
- Jaro : En chiffres
- Les bateaux de Jack Setton
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La vision a quelque chose de surnaturel. Jaro glisse comme dans un rêve à portée de gaffe du bateau à moteur sur lequel notre photographe s’active, saisi comme moi par l’émotion qui émane de ses lignes. Nous sommes sous son vent, il passe presque sans bruit dans une sorte de soupir. Cette vision fugace se grave dans nos rétines. Elle y restera, silhouette spectrale et incandescente semblable à la brûlure que laisse le soleil sous les paupières. Le gréement incliné vers nous, Jack tranquillement installé à la barre sous le vent : plus que la journée que nous avons passée à bord, c’est cet instant qui s’est cristallisé dans ma mémoire. Souvenir à la fois précis et légèrement surexposé, comme si j’avais vu le Hollandais volant. [caption id="attachment_195634" align="aligncenter" width="500"] Grâce à son haut pavois, Jaro gîte mais mouilletrès peu, même en barrant sous le vent. © JM Liot[/caption]
Obsédé par l'idée du Day-Boat parfait
Mais non, Jaro n’est pas un spectre et si son architecte est hollandais, son concepteur et capitaine Jack Setton n’est poursuivi par aucune malédiction. Il est juste obsédé par une certaine idée du bateau parfait qu’il tente de faire advenir depuis des décennies. Pour donner corps à ce rêve, il a tourmenté ses amis André Mauric et German Frers, Rolf Vrolijk qui l’a accompagné pour Jaro – Ja comme Jack et Ro comme Rolf –, Paolo Bua et bien d’autres. Il a fait construire des day-boats de toutes tailles, de Ciao Gianni à Roljack en passant par Paja, qui ont chacun légué quelques gènes à cet étourdissant 60 pieds. Est-il enfin arrivé à la synthèse parfaite ? On peut le penser, mais ça ne veut pas dire que la quête de Jack a pris fin… [caption id="attachment_195630" align="aligncenter" width="500"] Jaro est la réponse parfaite à un programmetrès étroit : la balade solitaire à la journée © JM Liot[/caption] Ce serait mal le connaître. Mais le connaît-on vraiment après trois petites journées dans son domaine sarde de l’arrière-pays de Porto Cervo ? Une chose est sûre : on le connaît mieux que si on s’était arrêtés à sa réputation. Les gens qui le connaissent renoncent souvent à le décrire, ils vous préviennent juste par petites touches énigmatiques. « Tu vas rencontrer Jack, ah, tu vas voir… C’est un sacré personnage… », le genre de petite phrase qui ne vous apprend rien mais vous inquiète un peu. Allons-nous rencontrer un milliardaire blasé, un passionné hyperactif, un collectionneur obsessionnel ? Rien de tout cela. Jack se présente d’abord comme un homme charmant. Sobre et direct dans ses échanges, il ne perd pas de temps en mondanités mais se met en quatre pour ses hôtes. [caption id="attachment_195633" align="aligncenter" width="500"] A la barre, Jack a sa récompense : le plaisir d’un bateau en harmonie avec les éléments. © JM liot[/caption]
Et va tout de suite à l’essentiel : la voile.
Car Jack, vous l’aurez compris, est un authentique passionné. D’où notre intérêt pour Jaro, qui est certes un bateau d’exception mais en aucun cas un caprice de milliardaire soucieux d’épater ses pairs. Il n’est même pas évident, en dépit des apparences, qu’on puisse le qualifier de yacht « statutaire » au même titre qu’un Tofinou ou un Wally… Question d’appréciation bien sûr, mais Jaro est avant tout un exercice de style, le résultat d’une approche technique et ergonomique radicale au service d’un programme très étroit : la sortie à la journée, voire le plus souvent la demi-journée, en solitaire ou avec un ou deux invités. Programme qui était déjà celui de Cia Gianni, le précédent 60 pieds de Jack Setton également construit chez Multiplast. Mais Jack voulait un bateau plus facile à mener en solo. Est ensuite venu Paja, sorte de canoë en carbone sur plan Paolo Bua, beaucoup plus petit (9 m) et fi n comme une lame, délicat à mener dans la brise. [caption id="attachment_195631" align="aligncenter" width="500"] Un bateau de près, certes, mais au travers il avance aussi ! © JM Liot[/caption]Jaro serait un peu la synthèse de ces deux day-boats.
Etroit à la flottaison, il percerait les vagues sans tanguer et déplacerait peu d’eau. Très toilé et très lesté, il tirerait sa puissance de son rapport de lest de l’ordre de 65 %. Jack a toujours aimé ce genre de bateau. Dans les années quatre-vingt déjà, il avait fait dessiner à André Mauric, dont il était très proche, un quasi-sistership du Kriter VIII de Malinovsky. Le résultat fut un « cigare » construit en aluminium chez Pouvreau et baptisé Pioneer. Il était motorisé au moyen de deux hors-bord de 320 chevaux mais ce n’était pas un day-boat, plutôt un UDLB (Ultra Light Displacement Boat), comme on disait alors, destiné au large. Mais les techniques de construction ont évolué depuis, et Multiplast a une certaine expertise des structures en carbone. Résultat : Jaro pèse 11 tonnes… dont 3 tonnes de coque. Le reste est dans le gréement et l’accastillage, à la marge, et surtout dans le bulbe placé à 3,90 m de la flottaison – avec à la clé un rapport de lest de 63 %. D’où sa raideur et ses performances ahurissantes au près ! Nous remontons sans forcer jusqu’à 17° du vent apparent (36° du vent réel) en gardant 8 noeuds de vitesse dans 12 noeuds de vent sous grand-voile et foc autovireur.Grand-Voile, Foc et c'est tout
Il n’y a pas d’autre voile à bord de toute façon… La radicalité de Jaro est aussi dans cette simplicité, cette sobriété poussée à l’extrême. Il suffit, pour s’en rendre compte, de découvrir ce pont nu à Porto Cervo, le fameux port sarde dont les têtes de ponton sont toutes réservées aux bateaux de Jack Setton. Une fois enjambé le haut pavois, vous vous retrouvez sur ce pont immense et parfaitement plan. Pas le moindre coussin dans le cockpit, Jaro cultive une sobriété qui confine au jansénisme. Qu’a-t-on à faire d’un coussin qui encombre et s’envole à la première rafale ? La ligne de ce pont n’est donc brisée que par deux panneaux de pont et un petit cockpit en T. [caption id="attachment_195632" align="aligncenter" width="500"] L’équilibre entre le gréement et les appendices,tous très élancés, est la clé du plaisir de barre. © JM liot[/caption] Les postes de barre implantés aux deux extrémités de la barre de ce T encadrent deux gros winches de drisse devant une modeste batterie de bloqueurs. Plan de pont minimaliste et très direct : les drisses et bosses de ris sont en provenance du pied de mât, une poulie, un seul renvoi à 90°. Seule concession au confort : le bimini monté sur une structure en aluminium. Structure peut-être un peu imposante au vu de la sobriété ambiante, mais il faut bien se protéger des ardeurs du soleil sarde.
Et l’intérieur ? L’intérieur… c’est un bien grand mot.
Sous le panneau de pont, une simple échelle en inox donne accès à ce qui s’apparente à une vaste soute technique dont la hauteur sous barrots n’excède pas 1,30 m. Pas une couchette, cet espace ne sert qu’à donner accès au moteur, aux batteries, à la transmission de barre, au pilote et à l’essentiel de l’accastillage motorisé. Notamment à ces deux imposants winches captifs qui permettent de régler grand-voile et foc avec quatre boutons, sans que rien n’apparaisse sur le pont. A vrai dire, pour Jaro Jack rêvait de se passer de pont comme il l’avait fait pour Paja. Mais outre le fait que tous ces organes techniques n’auraient pas pu être escamotés, l’absence de pont posait un problème de structure. C’est Antoine Cardin, architecte naval au sein du cabinet Judel/Vrolijk, qui l’a alerté sur ce point : il faudrait ajouter une bonne tonne de structure pour rigidifier ce 60 pieds canoë.Alors va pour le pont ! Mais un rouf ? Non merci !
Il a été dessiné, proposé, mais non retenu parce que fondamentalement inutile. Le seul intérêt que Jack lui trouvait, c’est de faciliter l’éventuelle revente du bateau… Car il n’accumule pas les bateaux à l’infini Jack, il les revend pour laisser de la place aux nouveaux projets. C’est une bonne partie du travail de Max Minarek, son bras droit pour tout ce qui touche à l’intendance, au sens large, de ses bateaux. Des bateaux si radicaux, si particuliers qu’il est parfois compliqué de leur trouver un deuxième propriétaire, mais c’est un autre problème.Pas de pare-battage à ranger
[caption id="attachment_195629" align="aligncenter" width="500"] Avec ses appendices élancés et ses propulseurs, Jaro est facile à ramener à son bout de ponton. Jack s’y emploie seul sans aucun problème © JM Liot[/caption] Jack emploie par ailleurs deux marins professionnels, Ricardo et Jimmy. C’est ce dernier qui nous accueille à bord pour une première sortie sans le patron. On ne perd pas de temps à ranger les pare-battage et les aussières, tout est à poste côté ponton. Quelques pare-battage sont rangés sous le pont en cas de nécessité, non loin de l’ancre en aluminium qui est présente par sécurité (et obligatoire) mais ne sert jamais. Pas de davier, pas de mouillage, répétons-le, ce bateau ne sert qu’à naviguer au sens le plus exclusivement vélique du terme ! Tant mieux, on est là pour ça. Mais naviguer, sur Jaro, n’est pas une activité physiquement intense. Le winch central, avec sa poupée de fort diamètre (990), envoie la grand-voile en quelques secondes. Reste à dérouler le génois, ce qui demande un peu plus de travail puisqu’il faut border à mesure qu’on déroule, donc appuyer sur deux boutons à la fois… Et c’est parti, vous n’avez plus qu’à profiter de la vraie raison d’être de Jaro, sa justification et son essence même : la barre. [caption id="attachment_195628" align="aligncenter" width="500"] Sous cet angle, Jaro révèle son bordé vertical et son tableau semi-ouvert, ainsi qu’un état de surface de la coque au-dessus de tout soupçon. © JM Liot[/caption] Evidemment, elle est aussi sensible que celle d’un Laser, aussi précise que le manche d’un avion de chasse : il n’y a de jeu nulle part, ni dans la transmission ni dans la structure. Mais au-delà de ce plaisir mécanique, elle procure une émotion intense, à la fois sensitive et esthétique. Il n’y a que vous, les penons du foc et l’étrave qui travaillent en douceur. Les passagers, s’il y en a, sont calés derrière pour ne pas perturber le barreur : c’est depuis longtemps dans le cahier des charges des day-boats de Jack Setton. Egoïste ? Ce caractère égoïste parfaitement assumé participe du pur plaisir qu’on peut prendre à barrer Jaro dans un tête-à-tête sans fin avec le clapot et les risées. A vous de jouer des écoutes, du hale-bas et du pataras hydraulique si vous voulez peaufiner les réglages, mais à vrai dire, ce n’est pas vraiment le sujet, le bateau est particulièrement tolérant. Sa vitesse, il la tire d’abord de sa longueur et de son étroitesse à la flottaison… Le réglage imparfait du foc a certes une incidence, mais marginale. Et cela aussi correspond bien au caractère de Jack, qui n’a jamais eu le moindre intérêt pour la régate.Sentir le safran frémir sous ses doigts
[caption id="attachment_195636" align="aligncenter" width="500"] Sous le vent, on barre au ras de l’eau : sensations garanties… © JM liot[/caption] Il aime aller et vite et sentir frémir le safran sous ses doigts, mais à quoi bon faire la course ? Pour prouver quoi ? Il en allait de même avec les Formules 1 qu’il a collectionnées pendant des années dans son château de Wideville (Yvelines). Il aimait les faire tourner sur le circuit qu’il avait fait construire dans le parc du château, mais n’avait lui-même jamais couru en compétition. C’était une autre époque. Aujourd’hui, Jack affirme qu’il « aime la mer plus que les bateaux ». Paradoxal, quand on considère l’étendue de sa collection passée et présente de navires en tout genre. Mais cohérent avec le sentiment de plénitude qui vous habite à la barre d’un bateau comme Jaro. À cet instant précis, la technique s’efface – il n’y a plus que la mer et le vent. Et c’est peut-être ça, le voilier parfait selon Jack Setton : un bateau qui s’efface, qui se fait oublier. Qui laisse place à l’immensité.L'avis de l'architecte : « Un projet hors normes ! »
[gallery columns="2" size="medium" ids="195648,195649"] « Travailler sur un tel projet est exceptionnel, même au sein d’un cabinet tel que Judel/ Vrolijk. C’est très rare d’avoir un tel niveau de liberté et de moyens pour répondre à un programme aussi pointu. D’autant plus intéressant que Jack Setton sait ce qu’il veut et que ses idées ne sont pas des lubies, elles résultent de son expérience, qui est considérable. Pour le plan de pont, nous avons fait au moins vingt dessins, beaucoup d’allers-retours, pour arriver à un résultat assez proche de sa première idée ! Enfin pas la toute première, car Jack rêvait d’un bateau sans pont. Mais là-dessus, nous l’avons fait changer d’avis pour des raisons structurelles. Cela aurait supposé un bateau tellement étroit qu’il nous menait à une sorte d’impasse conceptuelle. La particularité de ce bateau, c’est qu’on cherche avant tout le plaisir de barre et la performance au près. Les performances au reaching sont secondaires, ce n’est pas un bateau de course. Il est principalement question de plaisir, de passage dans la mer et d’ergonomie. C’est donc un sujet passionnant qui permet aussi de mettre en place des solutions atypiques, par exemple la quille qui remonte jusqu’au pont. Une idée de Steve Koopman qui permet de simplifi er la structure tout en ayant la garantie d’une rigidité parfaite. Le bimini a également été un gros dossier, tout comme la courbe du livet... Mais le résultat est fantastique, nous en sommes très fiers. »Antoine Cardin, cabinet Judel/Vrolijk.
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Jaro : Visite guidée en images
[caption id="attachment_195638" align="aligncenter" width="500"] Le cockpit en T, barreur devant et passagers derrière, est l’une des idées fortes de Jack pour Jaro. © JM Liot[/caption] [gallery columns="2" size="medium" ids="195640,195635,195637,195647,195641,195642,195646,195643,195645,195644"]Retour au sommaire
Jaro : En chiffres
[gallery columns="2" size="medium" ids="195626,195650"]- Long. coque : 18,30 m.
- Largeur : 3,88 m.
- TE : 3,90 m.
- Tirant d’air : 20 m.
- Lest : 6 930 kg.
- Dépl. : 11 000 kg.
- SV au près : 188 m2.
- Mat. : carbone.
- Arch. : Judel/Vrolijk.
- Const. : Multiplast.
- Budget : non communiqué.