Vendée Globe. Damien Séguin veut porter le débat sur les plans porteurs en IMOCA (1/2)
Damien Séguin se remet de son Vendée Globe, terminé à la 15e place, après une course éprouvante sur les plans physique, psychologique et sportif. Il souhaite ouvrir le débat sur les plans porteurs en IMOCA et la limitation de la vitesse, tout en se projetant vers l’avenir avec de nouveaux projets.
Ton deuxième Vendée Globe ne s’est pas déroulé comme tu l’imaginais…
J’avais un bon bateau, même s’il était difficile à faire marcher, mais le Vendée Globe nous a rappelé que ce n’était vraiment pas une aventure facile et que l’on n’est pas toujours maître de son destin. Cette édition a commencé de manière compliquée. C’est la première fois que j’ai eu autant de mal à entrer dans une course, psychologiquement. Je pense que la descente du chenal m’a beaucoup plus touché que je ne l’imaginais, et cela a eu un impact sur les premières heures de course. C’est la première fois que cela m’arrive de cette manière. Ensuite, la météo n’a pas aidé et je me suis vite retrouvé tout seul, entre deux groupes. J’ai navigué plus de la moitié de mon Vendée Globe en solitaire. J’ai ensuite eu de gros pépins physiques au cou et au genou après avoir été balayé par une vague à l’avant du bateau. Il a fallu que je compose avec et que j’adapte ma façon de naviguer. J’étais vraiment en difficulté pour gérer la douleur. Mes blessures étaient impossibles à diagnostiquer en mer. J’avais en réalité une fracture cervicale et, au genou, une rupture d’un ligament croisé ainsi qu’une fracture du ménisque. Dans les conditions de vie en mer, on parvient à repousser le seuil de la douleur, parce qu’on n’a pas le choix. La douleur a fini par s’atténuer peu à peu, mais cela a été très dur moralement. Le seul moment où tout s’est bien passé, finalement, c’était l’arrivée : seul, au lever du jour, j’ai pu enchainer l’entrée dans le chenal en toute fluidité.
C’est le message d’un enfant qui t’a permis d’aller de l’avant…
Je l’ai lu et relu, ce message que j’ai encore sur mon téléphone. C’est un enfant qui l’a écrit en commentaire sur Facebook, et il a marqué un tournant dans ma course. Ce message est arrivé à un moment où j’étais vraiment dans le dur :
« Damien, tu n’es pas pareil que moi et tu fais comme les autres. Je suis à l’école, dans une classe de “pas pareils que les autres”. Parfois, je me dis que je ne devrais pas exister, et ça fait pleurer maman. Maintenant, je veux être aussi fort que toi. Tu vas réussir et les gens ne seront plus méchants avec nous. »
Quand tu relis ce message plusieurs fois, il est sacrément puissant. Et cette dernière phrase, elle est magique. Ce message contient tout. L’identification à moi et à mon handicap. Au début, je ne l’ai pas perçu tout de suite à sa juste valeur. Je me suis dit que c’était un message dur. Puis je suis revenu dessus, je l’ai relu, j’ai essayé de comprendre chaque phrase. C’était extrêmement fort et, en même temps, cela ouvrait un champ énorme. Ce message a donné un vrai sens à mon Vendée Globe. Je ne le faisais pas uniquement pour moi ou pour le résultat. Je le faisais aussi pour ce gamin-là, pour ses parents, qui ont peut-être aussi compris le message derrière. Ils ont besoin de cette identification. Et quoi que je fasse sur le Vendée Globe – que je continue ou que j’arrête –, je n’ai pas le droit de ne pas me donner à 100 %, parce qu’ils ont besoin de ça. Et ça m’a donné la force de continuer. Si ce message-là est l’un des plus forts que j’ai reçus, j’en ai eu des dizaines et des dizaines d’autres du même genre. Et ça te porte. C’est un peu tout le sens d’un engagement dans le Vendée. C’est du sport, mais c’est aussi une aventure. Au final, chacun porte sa croix, avec ce qu’il peut. On n’a pas toujours conscience de l’impact que cela peut avoir à terre. On ne s’en rend compte qu’après, dans les discussions. Sur cette édition, je suis sorti de ma zone de confort. Clairement, j’ai été en grande difficulté, mais j’en ressors grandi.
Tu aimerais porter le débat sur les plans porteurs et la vitesse au sein de la classe IMOCA
Je pense qu’on se trompe un peu avec les grands foilers d’aujourd’hui. On va trop loin. Ce sont des canards à trois pattes. On essaie de faire voler des bateaux qui traînent du plomb. Déjà, c’est antinomique. Ensuite, on n’arrive pas à résoudre le problème de la stabilité. La solution simple serait d’ajouter des plans porteurs pour stabiliser les bateaux. On en a besoin. Mais le problème, c’est qu’en ajoutant ces plans porteurs, les bateaux atteindraient les 50 nœuds, et ce ne serait plus gérable. Il faut revoir la taille des foils à la baisse. Aujourd’hui, ils font 8 m³, alors qu’on devrait revenir à 5-6 m³ et ne pas dépasser les 35 nœuds, ce qui est largement suffisant. On a déjà prouvé qu’on pouvait boucler un Vendée Globe en 64 jours, mais est-ce vraiment intéressant ? C’est le discours de la vitesse. On peut faire un parallèle avec l’histoire de la Formule 1, il y a 20 ou 30 ans, avec les moteurs V10 et V12. Avec les progrès de l’aérodynamisme, les voitures arrivaient trop vite dans les virages. Ayrton Senna en a payé le prix. À un moment, ils se sont posé la question : « Est-ce qu’on veut continuer à avoir peur à chaque virage ? »
C’est un sujet que j’ai envie de porter au sein de la classe IMOCA, après en avoir discuté avec pas mal de skippers. On commence à se rendre compte qu’on est peut-être allés trop loin. Je me suis blessé, Sébastien Simon avant moi aussi. On attend quoi ? Qu’un skipper finisse tétraplégique au fond d’un bateau ? Il y a 20 ans, dans le contexte de l’époque, on acceptait encore qu’un pilote puisse mourir au volant. Mais aujourd’hui, ce ne serait plus tolérable. Si un marin perdait la vie sur une transat ou un Vendée Globe, ce ne serait pas accepté. Après, on reste un sport mécanique, donc l’évolution est inévitable. Mais c’est comme en cyclisme : il y a de plus en plus de chutes, et elles sont de plus en plus violentes. Pourquoi ? Parce qu’on va de plus en plus vite. Il y a deux raisons à cela : d’une part, les coureurs s’entraînent mieux, et d’autre part, le matériel a progressé. Tu ne pourras jamais empêcher un athlète de progresser, mais tu peux jouer sur le matériel. En cyclisme sur piste, on a supprimé les freins à disque pour limiter la vitesse de freinage, et élargi les pneus pour améliorer l’adhérence, ce qui empêche de dépasser les 50 km/h. Il y a des solutions. En IMOCA, on pourrait faire de même. Je pense qu’on arrive à un moment où les chocs sont trop violents à bord. Ce débat mérite d’être posé entre nous. Il faut parler de la difficulté de vivre à bord. Sur une transatlantique, c’est gérable, mais sur un Vendée Globe, avec ces bateaux-là, ça ne l’est plus.
Mon but n’est pas de convaincre à tout prix. J’ai mon opinion. Les règles sont votées par les skippers et les armateurs, et c’est un choix collectif. Peut-être que cette discussion ne changera rien, mais on ne peut pas faire l’impasse sur cette réflexion. Est-ce que la solution ne serait pas d’installer des plans porteurs pour stabiliser les bateaux, permettre aux skippers de mieux dormir, de naviguer avec plus de confiance et d’éviter ces décrochages brutaux ? En contrepartie, on pourrait limiter la taille des foils, donc la vitesse de pointe. Plus on va vite, plus les risques augmentent. Qu’est-ce qu’on veut vraiment pour l’avenir ? Quel message voulons-nous transmettre sur notre sport ? Est-ce si important de faire un Vendée Globe en 64 jours ? Ou est-ce que ça ne changerait rien de le faire en 80 jours ? L’aventure ou le record, qu’est-ce qui prime ? Il faut se poser les bonnes questions. Il y aura toujours des défenseurs des deux camps. Mais au final, c’est collectivement que nous devons décider.
Damien Séguin a mis en ligne son documentaire de 14 mn sur sa course.
Grâce aux capteurs biomédicaux installés sur son bateau, nous avons pu suivre de près son état de santé et recueillir des données inédites qui font désormais partie intégrante de son histoire. Découvrez notre documentaire de 14 minutes, témoignage d’une aventure où la santé, la technologie et l’inclusion se rencontrent pour inspirer chacun d’entre nous.