Vendée Globe 2024. Yann Eliès : « La victoire de Charlie Dalin récompense un engagement total »
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Présent sur les pontons des Sables d'Olonne, Yann Eliès deux éditions du Vendée Globe (2008-2009 et 2016-2017) dans le sillage, a bien voulu répondre à nos questions. Même si la course est loin d'être terminée, sa première analyse à chaud de cette 10e édition est éclairante !
Voile Magazine : A chaud, quel bilan provisoire tirez-vous de cette dixième édition du Vendée Globe ?
Yann Eliès : Sur cette édition on assiste à l'avènement des foilers. C'est-à-dire qu'aux yeux du grand public, il restait encore des doutes, parce que Jean Le Cam avait fait quand même pas mal de prosélytisme sur le fait que par rapport à la dernière édition, les foilers n'avaient pas été à la hauteur. Là, il n'y a pas photo.
Il y a quasiment deux traversées de l'Atlantique en distance entre le premier bateau à dérive et le premier foiler. Un constat qui vient enfin couronner les architectes, les équipes et tout le travail de développement de ces dernières années. Le concept fonctionne et en plus au bout il y aura un record historique, celui d'Armel Le Cléac'h en 74 jours, qui a été explosé...
Voile Magazine : Et vous pensez que la météo n'y est pour rien ? Parce qu'il y a 4 ans, cela avait été quand même une histoire de météo. Est-ce qu'elle a été spécialement favorable cette année selon vous ?
Yann Eliès : Il est vrai que la météo avait été spécialement défavorable il y a 4 ans et elle a été spécialement favorable cette fois-ci. Après on verra dans 4 ans si cette météo avait été incroyable ou pas. En tout cas sur le papier elle le paraît. Elle ressemble un peu aux conditions rencontrées par Francis Joyon en 2017 et qui lui avaient permis d'établir un temps canon. Un record qui tient toujours d’ailleurs…
Voile Magazine : Certes il y a un facteur météo mais bon quand même la technologie des IMOCA volants est au point maintenant, non ?
Yann Eliès : Clairement. Au moment précis où je te parle, tous les foilers ont encore leurs deux foils à part Sébastien Simon. Les designs des coques et des foils ont aussi été revus pour que les bateaux passent mieux dans la mer. Les marins sont aussi de plus en plus affûtés. Voilà, tout ça mis bout à bout avec en plus une météo ultra favorable, ça donne cette édition exceptionnelle à tous les niveaux.
Voile Magazine : Et humainement vous en pensez quoi de cette édition ? Est-ce que pour vous il y a encore des aventuriers ? Est-ce qu'il y a de belles histoires ?
Yann Eliès : Carrément ! Moi ce qui m'a fait vibrer ce sont les records des 24 heures qui tombent les uns après les autres dans l'Atlantique Sud. C'est l'option de Sébastien Simon et de Charlie Dalin dans la dépression au nord des Kerguelen, la Remontada de Yoann dans le sud sans oublier la présence des icebergs. C'était un peu une surprise de voir des marins qui croisent des icebergs. Je pensais que le système de protection était infaillible mais il faut croire que non, il reste encore une petite part d'aventure.
[caption id="attachment_193050" align="aligncenter" width="500"] Photo envoyée depuis le bateau MS Amlin le 02 décembre 2024. Crédit : Conrad Colman/Vendée Globe.[/caption]
Ce qui m'a marqué aussi, ce sont tous les problèmes de voile d'avant, les hooks qui cassent, c'est un truc un peu technique mais c'est vrai qu'il y a quand même beaucoup de voiles d'avant qui ont été perdues. Ce qui m'a interpellé également, c'est la fraîcheur de Yoann sur ses vidéos, on sentait qu'il était à l'aise en mer, il faisait en tout cas partie des marins qui devant la caméra étaient heureux d'être en mer, qui ne laissaient pas transparaître trop de difficultés. Un peu à l'image de Sébastien Marsset que je trouve hyper nature dans sa façon de communiquer. Il y a eu, dernièrement, les baleines filmées, par Éric Bellion avant son abandon. Cela m'a fait un peu mal au cœur, parce que je sens que par inexpérience, il a mis le nez à un endroit où il ne fallait pas. Ca m'a fait un peu penser à Bernard Stamm, même si pour lui, ça a avait été encore plus catastrophique, il avait perdu le bateau, après son arrêt aux Malouines. On sent que dans un petit manque de lucidité, tu peux dire, tiens, je vais me mettre à l'abri, et puis ça s'avère être un traquenard et un piège... Voile Magazine : Est-ce que vous trouvez que Charlie Dalin est un beau vainqueur ? Yann Eliès : Oui incontestablement. Même s'il n'était pas animé d'un sentiment de revanche, on sent qu'il avait une détermination en lui qui a pris sa source le jour où il passe devant le trophée il y a 4 ans, qu'il comprend que ça ne va pas le faire avec Yannick Bestaven. Là, déjà il a une réaction de gentleman, il se tait, il reste humble par rapport à ce qui arrive parce qu'il n'y a pas de solution possible. Il ne craque pas alors que ça a dû être dur et quelque part ça forge sa détermination pour aller chercher cette victoire sur cette édition. En 4 ans, il refait un nouveau bateau alors qu'on était quelques-uns à douter du fait qu'il puisse faire encore mieux qu'Apivia. Et effectivement, son bateau architecturalement parlant il est encore mieux. En plus, il s'engage à 100% dans toute la préparation, dans tout ce qu'il fait. C'est presque une maladie dans le sens où il est capable même de se chronométrer quand il fait de la wing ou de mesurer ses performances quand il fait du vélo. C'est vraiment une détermination, un engagement total et que ce soit récompensé, c'est bien ! Après j'aurais été heureux que ce soit Yoann aussi parce que je m'étais attaché au personnage sur cette campagne. Donc voilà, ça fait vraiment un duo de tête qui est au-dessus du lot. Ce sont de vrais sportifs, des athlètes. C'est une performance incroyable et je crois qu'on ne se rend pas bien compte de l'engagement qu'ils y ont mis, de la bataille que ça a été avant pour se préparer et aussi pendant la course. Je crois qu'il n'y a que ces deux marins-là qui étaient capables d'établir une telle performance. Voile Magazine : Si Sébastien Simon termine troisième, ça ferait quand même trois figaristes de la même génération sur le podium du Vendée Globe. Est-ce que pour vous c'est tout sauf un hasard ? Yann Eliès : Oui, oui, ça vient confirmer les victoires d'Armel Le Cléac'h et de François Gabart. Tous ces marins-là sont passés par l'école du Figaro, ce n'est pas la voie obligatoire, mais il faut se souvenir qu'il y a encore deux ans, la classe Figaro était un peu moribonde, les gens osaient plus venir parce qu'il y avait trop de niveau. On avait peur d'embarquer sans sponsor sur le circuit Figaro parce qu'on avait peur du niveau qu'il y avait, maintenant je crois que tu peux difficilement t'en passer. Après rien ne t'empêche de quand même faire la Mini-Transat, de passer par le circuit classe40, ou le circuit multi-50, il ne faut pas opposer les choses, mais en tout cas, je pense qu'à un moment donné, si dans ta carrière tu n'as pas fait deux ou trois ans de Figaro, tu n'as pas acquis cette rigueur, cette abnégation. Il ne faut vraiment penser qu'à ça, il faut y passer du temps. Je suis content que ce soit des purs produits du centre d'entraînement de Port la forêt qui terminent sur le podium. Je sais pour y travailler que Jeanne Grégoire et Erwan Tabarly se donnent corps et âmes. Ils y passent du temps à former les jeunes, les détecter, les faire progresser. Puis d'accompagner les meilleurs d'entre eux en Multi, en IMOCA, ceux qui ont la chance de trouver un budget. C'est bien que le sport et la performance soient sur le haut du tableau. Il va de soi que Yannick Bestaven en 2020 n'a pas démérité, loin de là, mais sur cette édition on assiste à la consécration du sport de haut niveau.C'était un peu une surprise de voir des marins qui croisent des icebergs