Paolo Vitelli est mort le 31 décembre 2024 à l’âge de 77 ans, dès suite d’un choc accidentel à la tête. Sa vie menée à un train d’enfer est l’histoire d’une réussite entrepreneuriale époustouflante qui a porté le yacht « made in Italy » au sommet du monde.
Pionnier de l’industrie motonautique italienne, Paolo Vitelli est décédé le jour de la Saint-Sylvestre alors qu’il était en vacances dans sa propriété de Mascognaz, près de Champoluc, dans le Val d’Aoste. Les circonstances de sa mort ne sont pas parfaitement connues mais il semblerait qu’il ait été victime d’un choc accidentel à la tête alors qu’il manipulait la porte de son garage. Une autopsie a été ordonnée par les autorités pour savoir si un malaise n’a pas causé le décès.
Une grande figure de la plaisance
Paolo Vitelli était une grande figure de la plaisance mondiale, un homme particulièrement charismatique qui a constitué un véritable empire dans le secteur du yachting de luxe dont il était le leader incontesté depuis plus de 25 ans. La vie de Vitelli ressemble à un roman où l’esprit d’entreprise, le sens des affaires et une incroyable vista s’entremêlent.
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Paolo Vitelli était un adolescent dégourdi et très aventurier.[/caption]
Né à Turin le 4 octobre 1947, le jeune Paolo passe ses vacances d’été dans la propriété de ses grands-parents au Cap d’Antibes. Il y développe une passion dès son plus jeune âge pour la mer et la voile. À 13 ans, ses parents lui offrent un Vaurien. Il y embarque une tente de camping et part à la découverte de la Côte d’Azur avec un copain. Saint-Tropez, Porquerolles, l’île du Levant, les deux amis vivent ces escapades nautiques comme une aventure. « Ce sont mes meilleurs souvenirs d’enfance » nous confiait-il lors d’une
interview pour Neptune en 2019. L’adolescent est dégourdi. Grâce à ses parents, il voyage en Europe et cultive son goût pour les langues lors de séjours linguistiques à Londres ou en Allemagne. Le garçon est aussi précoce en affaires. Il a la bosse du commerce et le travail est une vertu cardinale dans cette famille d’industriels piémontais.
Un excellent sens des affaires
Encore lycéen, il fait quelques bénéfices auprès de ses camarades d’école en revendant du matériel de ski. Tout juste majeur, le jeune Vitelli emprunte de l’argent sans en parler à ses parents pour créer avec cinq amis la discothèque Tempo Sei. Ce petit night-club d’un nouveau genre, inspiré de ce qui se fait en Angleterre, enflamme la jeunesse turinoise. Vitelli sait flairer les bons coups et a de l’intuition dans les affaires.
Azimut naît deux ans plus tard, en 1969. Vitelli a 21 ans. Il a beaucoup loué de bateaux ces derniers étés et a acquis une bonne connaissance du milieu. Pourquoi ne pas en faire son activité ? Il revend ses parts du Tempo Sei et ouvre une agence de location sous le nom d’
Azimut. Et les études dans tout ça ? Paolo en homme pressé brûle les étapes. L’apprenti businessman a des facilités. Il obtient son doctorat d’économie en deux fois moins de temps qu’il n’en faut, tout en lançant son business. Le voilà libre d’entreprendre toujours d’avantage, car très vite la location complétée par la revente de bateaux d’occasion ne lui suffit pas. Le Turinois a une nouvelle idée : importer des bateaux en plastique de Hollande et d’Angleterre. Cela existe en Italie mais uniquement pour des petites unités.
Le bateau à moteur comme une évidence
Croyant à sa bonne étoile, le grand gaillard à l’éternelle chemise blanche prend son bâton de pèlerin et part en road trip courtiser les chantiers européens pour qu’ils lui confient des bateaux neufs à exporter en Italie. Subjugué par le culot de ce jeune homme beau parleur, le patron du chantier hollandais Van Hamburg, aujourd'hui disparu est le premier à lui faire confiance et lui laisser un voilier sans garantie financière. Amerglass, Aquafibre, Tarquin, Westerly, Camper & Nicholsons, Aloa suivront. Il convainc aussi une certaine Madame Annette Roux, la toute jeune patronne d’une marque vendéenne en devenir qui n’est autre que Bénéteau. Premier salon de Gênes en 1971, premières ventes et premiers succès.
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En 1982, Le chantier Azimut sort l'AZ 28.[/caption]
Au départ, il s’agit surtout de voiliers puis, au fil du temps, le bateau à moteur s’impose comme une évidence. A 25 ans, il est temps pour la petite concession Azimut de faire de plus amples profits en construisant des bateaux sous sa propre marque. Le modèle inaugural sera l’AZ 43 Bali, une vedette hard-top de 12 m de long, qu’il expose au salon de Gênes de 1975. L’entrepreneur turinois a la sagesse de confier dans un premier temps la fabrication des nouveaux AZ à ses plus fidèles clients, Amerglass, Westerly et Bénéteau en tête. Il a maintenant une double casquette : importateur et constructeur de bateaux, même s’il n’a pas encore de chantier naval.
Un 60 pieds pour débuter
À la fin des années 70, le marché du yacht de plus de 15 mètres est l’apanage des grands chantiers italiens de tradition qui fabriquent en bois ou en acier. En bon visionnaire, Vitelli parie sur la fibre de verre et les bateaux de grandes tailles, un segment qui n’a pas encore fait sa mue. Il est le premier à débarquer à Viareggio, mecque de la construction motonautique italienne, avec des coques de yachts en composite. Un 60 pieds voit le jour en partenariat avec Baglietto, puis les projecteurs se braquent sur l’AZ 105 Failaka, un yacht de plus de 30 m en stratifié, qui touche l’eau en 1982. Vitelli l’a vendu au bluff à un milliardaire koweïtien alors que les plans n’existaient pas encore !
La série est une réussite. Le Failaka est exposé ensuite au Miami Boat Show. Les Etats-Unis seront le nouvel eldorado de la marque. La même année, une cliente célèbre se présente chez Azimut pour commander un express de 105 pieds. C’est Christina Onassis. Le yacht est fabriqué en à peine cent jours et livré à temps à sa propriétaire pour le baptême de sa fille Athina. Voilà de quoi booster le carnet d’adresses d’Azimut !
En 1985, Vitelli rachète le prestigieux chantier Benetti de Viarreggio, une institution depuis 1873. Celui-ci vient de tomber en faillite, plombé par le surcoût de production et les pénalités de retard lors de la construction du superyacht Nabila (86 m de long, un record pour l’époque) commandé par le milliardaire Adnan Khashoggi. Cette acquisition risquée est un véritable coup de poker qui permet à l’entreprise de Vitelli de changer de dimension.
Quinze années de croissance ininterrompues
En 1988, il reprend le chantier de son sous-traitant à Avigliana près de Turin, qui devient le fief de la marque. Ça y est, Azimut a pris son envol mais la suite de l’histoire n’est pas un long fleuve tranquille. La société devenu groupe, rencontre d’énormes difficultés suite aux rachats successifs mais tirera les leçons de cet épisode pour franchir sans casse la crise économique de 1993/94. A partir de cette date, le groupe Azimut va vivre ses quinze glorieuses, quinze années de croissance ininterrompue qui vont lui permettre de devenir le leader mondial de la vente de yachts à l’aube des années 2000. Plus aucun chantier ne lui contestera cette place, même lors du krach de 2008 qui frappera de plein fouet l’industrie nautique italienne.
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L'Azimut 68 S est lancée en 2003.[/caption]
Existe-t-il une méthode Vitelli pour en arriver là ? Probablement. Le businessman a eu le don tout au long de sa carrière d’anticiper les tendances et les attentes d’un marché du luxe en pleine expansion qui passait forcément par un développement commercial outre-Atlantique. Il a compris plus tôt que les autres l’importance des architectes navals et des designers dans le succès d’une gamme. Il a investi toujours à bon escient mais s’est montré d’une grande prudence financière lorsque la conjoncture risquait de basculer à tout moment. Vitelli ne s’est jamais aventuré en bourse. La société qu’il a créée reste familiale.
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Au milieu des années 2000, Paolo Vitelli passe le relais à sa fille Giovanna.[/caption]
Après avoir travaillé dans le meilleur cabinet d’avocats de Turin, sa fille Giovanna l’a rejoint à la tête du groupe au milieu des années 2000. Parallèlement à ses activités dans le yachting de luxe, Vitelli a un temps mené une carrière politique au niveau national en devenant député sur la liste de Mario Monti de 2013 à 2015. Il fut aussi le président pendant huit ans de l’Ucina, la fédération des industries nautiques italiennes. Le Turinois s’est également lancé dans la construction de ports de plaisance à Varazze sur la côte ligure, Viarreggio, Livourne ou à Malte, en créant une marina sous la vieille ville de La Valette. Ce passionné de montagne a également créé une chaîne d’hôtels de charme à Chamonix et dans le Val d’Aoste, sa région de cœur avec son Piémont natal où se trouve encore aujourd’hui le siège historique d’Azimut à Avigliana, à l’est de Turin.
Quelques dates
1947 Naissance de Paolo Vitelli à Turin.
1960 Première croisière nautique à bord de son Vaurien depuis la maison faliliale du Cap d’Antibes.
1969 Création de la société de location de bateaux Azimut. Vitelli commence à importer les bateaux hollandais Amerglass.
1975 Vitelli lance la construction de l’AZ 43 Bali, premier bateau sous le nom Azimut.
1977 Lancement de l’AZ32, la «Ford T» du nautisme selon Vitelli.
1980 Premier 60 pieds (AZ60 Solar), signé de l’architecte américain Terry Disdale.
1982 Lancement avec Baglietto de l’AZ 105 Failaka, premier yacht en composite de plus de 30 m de long.
1985 Azimut rachète Benetti et s’attaque au marché américain.
1988 Rachat d’un sous-traitant à Avigliana (Piémont) qui devient l’usine-mère et le siège d’Azimut.
1991 Pininfarina collabore au design de l’Azimut 65.
1999 Benetti lance Reverie, un superyacht de 70 m.
2002 Azimut rachète le chantier Gobbi qui deviendra Atlantis.
2003 Lancement de l’Azimut 68S, vedette open aux hublots de coque panoramiques révolutionnaires.
2007 Vitelli achète le port de Varazze en Ligurie et le transforme en marina moderne.
2019 Lancement la même année de trois yachts Benetti de plus de 100 m.
2023 Sa fille Giovanna Vitelli devient présidente du groupe.
2024 Mort à Mascognaz, dans les Alpes italiennes.