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Au Nord, c’étaient les dos ronds

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Les voilà bien embarqués, nos mineurs de fond avec le ciel pour seul horizon, et quelques fichiers météorologiques violacés à compulsivement étudier. Car tous, peu importe leur placement de la flotte, se préparent pour l’arrivée de deux grosses dépressions australes avec le potentiel d’un sacré coup de grisou.

Attention, grimpette en cours ! Si jusque là, la procession en queue-leu-leu avait plutôt été de mise en tête de flotte, le cortège a bien volé en éclats depuis 36 heures. Rassurez-vous, nulle fâcherie n’est à l’origine de cette dispersion, ou plutôt si : deux belles dépressions qui viennent jouer les trouble-fêtes, et obligent les marins à se gratter la tête.

En tête justement, le duo Charlie Dalin (MACIF Santé Prévoyance) et Sébastien Simon (Groupe Dubreuil) maintient pour l’heure sa trajectoire plein Est, pariant sur leur vitesse pour se dégager de la zone à problèmes. Car il ne fera guère bon d’être dans les parages d’ici 48 heures ! Un petit monstre austral est en cours de formation, promettant des rafales à 60 nœuds et des creux de 8-9 mètres en son cœur, qu’il a donc bien généreux. Le pari de la part des deux hommes de tête est engagé, et il ne faut pas se louper ! Déjà ralentis dans une zone de transition cette nuit, chaque heure perdue sur les routages peut compliquer leur situation, et il ne faudrait pas que les deux comparses s’éternisent trop en chemin. Mais bien sûr, le gain promis si leur pari est réussi est alléchant, puisque tendre la trajectoire leur permet de réduire la route par rapport aux autres camarades. A 7 heures toutefois, le duo à son tour faisait cap vers le Nord-Est !

« Je préférais faire ce choix tôt ! »
Premier à grimper ainsi et mettre le cap sur l’Indonésie flanqué de son acolyte Jérémie Beyou (Charal, 6e), Nicolas Lunven (Holcim-PRB, 5e) a bien voulu nous faire un peu de pédago météo :

Il y a une dépression qui est en train d’arriver par derrière, de l’Ouest, qui va nous rattraper et balayer toute la zone des Kerguelen. Et le centre de cette dépression est assez Nord ! Donc si tu te retrouves piégé juste devant le centre de la dépression, ou pire dans le sud du centre, tu te retrouves au louvoyage, dans 30-40 nœuds, et surtout derrière le centre de la dépression ça se creuse très fort et il y a des vents jusqu’à 50-60 nœuds. Et ça lève une mer évidemment sympathique, donc des trucs dans lesquels je n’ai pas forcément envie d’aller naviguer !

Nicolas Lunven
HOLCIM – PRB

Sur le papier bien sûr, « la route n’est pas gagnante », reconnaît le marin Vannetais, mais si dans quelques jours elle leur permet de naviguer dans des conditions plus maniables, tout en préservant le bateau, cela peut s’avérer un calcul pas si perdant ! Ces dernières heures, on a d’ailleurs vu Thomas Ruyant (VULNERABLE, 4e) et Yoann Richomme (Paprec-Arkea, 3e), mettre aussi du Nord dans leur trajectoire. Comment Nicolas Lunven analyse-t-il le choix de ses prédécesseurs ?

Le petit décalage d’une centaine de milles qu’ils avaient il y a deux-trois jours leur a permis de garder du vent plus longtemps et donc d’aller plus vite. J’ai pas fait de routage pour eux, mais si ça se trouve ils ont un scénario un peu différent pour la gestion de cette dépression ! Mais moi j’avais bien regardé un peu dans tous les sens, et d’ailleurs on voit bien que Thomas Ruyant n’a pas réussi à attraper le train des premiers, il est un peu pris dans la molle, et il fait plutôt du Nord j’ai l’impression qu’il essaie de revenir vers nous. En tous cas, moi je préférais faire ce choix tôt !

Nicolas Lunven
HOLCIM – PRB

« Le Pot-au-Noir mais version quarantièmes rugissants »
Une stratégie d’autant plus assumée que la situation actuelle n’est déjà pas des plus reposantes non plus, et qu’il y a donc encore plus d’enjeu à se préserver. En ce mois de décembre, l’Océan Indien semble en effet jouer les calendriers de l’avent, réservant une surprise par jour, voire par heure, à nos concurrents !

Les conditions sont très instables, toute la journée ça a été des changements de voile incessants, des bascules de vent, on se serait presque cru dans le Pot-au-Noir mais version quarantièmes rugissants, assez étrange ! J’ai fait de tout aujourd’hui, du près serré, du portant VMG, dans 5 à 22 nœuds… j’ai sorti pas mal de voiles, je ne me suis pas ennuyé !

Nicolas Lunven
HOLCIM – PRB

Et ça se voit sur la carto, où les vitesses entre deux pointages font carrément le yo-yo ! C’est d’ailleurs ce qui a permis à Paul Meilhat (Biotherm, 9e), pourtant mal servi après son passage du Cap des Aiguilles, de revenir fort cette nuit sur Yannick Bestaven (8e) et Sam Goodchild (VULNERABLE, 7e). Tous trois aussi ont commencé l’ascension pour faire le dos rond !

Passage de Bonne Espérance ardu
Derrière, le groupe mené par Samantha Davies (Iniatives-Cœur, 10e) et fermé quelques 500 milles plus loin par Damien Seguin (Groupe Apicil, 18e) continue de progresser à bonne allure, et va devoir lui aussi bientôt se positionner pour la suite des hostilités.

Le troisième groupe, mené encore au classement par Isabelle Joschke (MACSF, 19e) aura quant à lui deux autres difficultés sur lesquelles plancher. D’abord une première dépression qui va les cueillir dans les prochaines heures avec une relative intensité, et surtout la seconde à partir de vendredi midi, qui va coïncider aussi avec leur approche du Cap de Bonne Espérance. Et ça, à bord, on n’aime pas franchement le tableau ! En temps calme, la zone, parcourue par le redoutable courant des Aiguilles, est déjà un petit sujet, alors avec du vent qui soulève la mer, c’est coton ! Et surtout, pas de possibilité de fuir la dépression par le Nord, à moins de vouloir aller saluer d’un peu trop près les falaises d’Afrique du Sud…

Une situation à laquelle Benjamin Ferré (Monnoyeur-Duo For a Job, 22e), essaie de se préparer tant bien que mal :

La première dépression va déjà être un sacré morceau, et ensuite la deuxième à partir de vendredi midi, où là on n’a pas vraiment d’échappatoire, je ne sais pas vraiment encore la façon dont je vais négocier ça ! Ça rajoute une part d’incertitude et d’angoisse sur le bateau, parce que tout ça est quand même bien nouveau ! Je change d’un mode régate pure à jouer avec les petits copains à un mode Mer du Sud, survie, safe. J’essaie de rentrer dans ce mood là !

Benjamin Ferré
MONNOYEUR – DUO FOR A JOB

Car ces dernières 48 heures, Benjamin Ferré s’était effectivement régalé à batailler dans son petit groupe d’acharnés. Grâce à son spi sorti malgré une brise qui le mettait souvent « à la limite de la connerie » et en « angoisse paralysante », le « bizuth », par ailleurs handicapé par un winch défaillant, s’est refait une santé :

A part l’irréductible Finistérien, le père Jean (Le Cam, Tout Commence en Finistère – Armor Lux, 20e), qui s’est calé juste devant et qui me contrôle, je suis content de mes choix ! C’est assez rigolo quand même de régater avec tout le monde ! Il y a une belle bataille avec tous ces bateaux « à la dérive », on s’est croisés avec Violette (Dorange, Devenir, 26e), on a bien papoté à la VHF, c’est vraiment génial cette course dans la course ! On s’amuse bien !

Benjamin Ferré
MONNOYEUR – DUO FOR A JOB

Une baston générale à laquelle prend pleinement part aussi Giancarlo Pedote (Prysmian, 21e), qui racontait cette nuit :

Depuis 24 heures, on est face à une dépression qui arrive derrière nous, tous les wagons de mon groupe avancent vers le Cap de Bonne Espérance, il va falloir faire attention à l’état de la mer et du vent à ce passage, surtout quand le courant est contre le vent, ça peut même des fois être dangereux. Pour l’instant, ce n’est pas une grosse tempête donc je pense que ça va le faire, mais il va falloir être bien attentif, écouter comme le bateau ça tape, et après bien évidemment lire les cartes de courant pour passer dans les zones où on peut tirer des bénéfices !

Giancarlo Pedote
PRYSMIAN

« Je me méfie vraiment des prochaines heures »
Signe tout de même que l’heure est à la prudence, Benjamin Ferré nous racontait à l’aube avoir affalé son spi « à la Mich’ Desj’ », la barre entre les jambes, en rentrant ces centaines de mètres carré de voile depuis le cockpit directement « dans le placard »… « Vous direz à Mich Desj que j’ai réussi à faire une Mich Desj en pleine nuit, hein », lançait, ragaillardi par sa manœuvre réussie, le vibrion, décidément « bien heureux d’être en mer ». Réalise-t-il pleinement qu’il est en train de faire le tour du monde avec son bateau Théophile ?

Quand je regarde où se trouve le bateau sur la carte du monde, je vois Afrique, Amérique, Namibie, toutes les îles au Sud, j’ai vu qu’il y avait une île qui s’appelait Mac Donalds, je me suis dit que je savais où allait Violette Dorange maintenant ! En fait c’est surtout ça qui me marque quand je fais la météo, c’est vachement évocateur de voyage et d’aventures et ça me plaît trop ! Et jusqu’ici, les conditions ont été royales… Là je me méfie vraiment des prochaines heures, pour pas me faire surprendre par la météo et les émotions, pour pas me demander ce que je fous là, je relis vachement mon petit carnet où j’ai écrit ce que je venais chercher pour pas perdre le cap.

Benjamin Ferré
MONNOYEUR – DUO FOR A JOB

Et dans son voyage en solitaire, lui qui vient de dépasser son record de temps seul en mer, le skipper de Monnoyeur-Duo For a Job peut compter sur les attentions de ses proches :

Tous les dimanches, j’ai une lettre de quelqu’un de mon entourage ou de quelqu’un que j’admire, sur un thème. Il y a eu la quête, la folie, hier c’était l’ancrage. Il y avait une lettre de mon parrain, et j’ai appris qu’il était décédé il y a deux jours… C’était un grand homme de mer, il a été pendant trente ans le commandant de la Calypso avec Cousteau, c’était hyper émouvant. De vivre tout ça tout seul, c’est toujours assez intense ! J’ai des moments de bonheur incroyable, je mets la musique à fond, je vois le sillage défiler, et je suis limite à pleurer de joie, j’aime bien cet état.

Benjamin Ferré
MONNOYEUR – DUO FOR A JOB

Difficile là aussi de ne pas laisser la conclusion de cette tranche de vie matinale à l’éternel Pierre Bachelet. Car nos marins du Vendée Globe aussi, « Ils aimaient leur métier comme on aime un pays / C’est avec eux que j’ai compris ».

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