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Refit du Super Arlequin : Nouveau mât, nouvelle vie

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Oui, mettre un mât neuf sur un vieux bateau est une bonne idée... Surtout quand l’état impeccable de la coque et du pont justifie un tel investissement. Notre voilier de 1975 sera comme neuf ! Photos : Olivier Blanchet et l’auteur. Infographies : Laurent Hindryckx.

Sommaire :

L’idée nous trottait dans la tête depuis le début du projet, quand notre Super Arlequin n’était pas encore une épave mais plus tout à fait un bateau.

Rembobinons la pellicule...

En janvier 2022, nous découvrons sur un terre-plein de Morlaix un Super Arlequin vert de moisissure et rempli d’eau de pluie jusqu’aux banquettes du carré. Nous ne le rencontrons pas tout à fait par hasard, c’est l’ami Bernard Mallaret, patron jusqu’à une date récente de la voilerie Delta Voiles, qui nous a mis sur sa piste. Le Super Arlequin, Bernard, il connaît. C’est le bateau de ses premières courses et de ses premiers podiums... Alors quand on lui parle de refit, pas besoin de beaucoup insister pour que les idées fusent, notamment dans sa partie de prédilection : le gréement. Cela étant dit, le mât d’origine fabriqué à La Rochelle par Peterson-Briand tenait encore le coup. Moyennant une rénovation menée tambour battant par les fines gâchettes d’Atelier Câbles, à Saint-Philibert, il a fait une saison de plus et aurait pu en faire quelques-unes encore. Mais la corrosion fait lentement son œuvre, et nous avons d’autres ambitions pour notre Super Arlequin. On rêve notamment de renouveler sa garde-robe, bien fatiguée pour le coup, mais envoyer des voiles neuves sur un gréement accusant bientôt 50 ans d’âge, est-ce bien raisonnable ? Non, décidément, il faut un nouveau mât pour aller au bout du refit de notre valeureux plan Mauric, millésime 1975. Mais quel mât ? La maison Peterson-Briand, fondée par Michel Briand – père de Philippe et Christine Briand – n’existe plus depuis belle lurette. Et quitte à changer de mât, on a forcément envie de gagner du poids dans les hauts. Pourquoi pas un mât carbone Evidemment, on y a pensé. Le gain de performance serait sensible avec un bateau plus léger et surtout plus stable. [caption id="attachment_186102" align="aligncenter" width="500"] Plan de voilures, nos 3 hypothèses[/caption]  

Un refit ambitieux mais réaliste

En abaissant le centre d’inertie, on diminue le tangage, l’ennemi de ces carènes élancées dans années soixante-dix... Donc oui, c’est tentant, et on a potentiellement des partenaires prêts à étudier le dossier. Ce qui nous retient, c’est l’esprit du projet : un refit qui se veut réaliste et aussi respectueux que possible de l’environnement. Nous voulons un Super Arlequin rajeuni, modernisé, mais pas un « dragster » surmotorisé. Un bateau qu’on puisse mettre entre toutes les mains dans le cadre de sa future vie au sein du Voile Magazine Club, bref, un voilier sexy mais raisonnable. En termes d’impact et de cycle de vie, l’aluminium a en outre l’avantage d’être recyclable. Nous lançons plusieurs pistes pour récupérer un mât carbone de seconde main, issu d’un Mini ou d’un RM 970 sinistré, mais aucune n’aboutit – ou les travaux d’adaptation à envisager sont trop lourds. Car il faut évidemment tenir compte du plan de pont de notre Super Arlequin, de l’implantation des cadènes et de la stabilité initiale du bateau.

Pas si simple, le mât d’occasion.

Au final, les discussions que nous avons avec les équipes de Sparcraft finissent de nous convaincre : ce sera un mât neuf classique, en aluminium. Reste à tomber d’accord sur un profil d’un poids raisonnable, c’est-à-dire inférieur ou égal à celui du profil actuel, lequel affiche 3,55 kg/m. Ce qui n’est pas si lourd au vu de son profil en D un brin imposant ! Nous écartons un premier profil Sparcraft trop lourd, restent deux candidats affichant respectivement 2,8 et 3,2 kg/m. Mais attention, le premier nécessiterait un gréement poussant... A ce stade, il est urgent de ne pas se précipiter. Et de se reposer la question du plan de voilure que nous voulons pour le Super Arlequin car naturellement, les deux sont liés. Bernard est tenté par un plan de voilure franchement optimisé IRC, comportant une grand-voile sensiblement plus grande, un génois sans recouvrement (ou à peine) et un gennaker amuré à l’étrave. Cette formule a l’avantage d’être peu taxée en IRC – c’est un peu sa raison d’être – et de faciliter les manoeuvres au louvoyage avec un triangle avant raisonnable. Elle est parfaitement compatible avec des barres de fl èche poussantes qui, même longues, n’entrent pas en conflit avec le génois court – donc avec le profil le plus léger. En revanche, elle nous oblige à déplacer les cadènes, ce qui peut conduire à reprendre les efforts sous le pont comme cela a été fait sur Maeva, un Super Arlequin au palmarès long comme un jour sans vent. Et attention à ne pas trop reculer le centre de voilure, au risque de se retrouver avec une barre trop chargée et/ou un bateau volage... A l’extrême inverse, on pourrait garder le plan de voilure d’origine dans une logique de refit « à l’identique ». Mais on a quand même envie de dynamiser un peu le bateau... Au final, on arrive à un compromis qui satisfait tout le monde quand Bernard nous propose de conserver à l’identique à la fois la géométrie du gréement dormant et le génois à recouvrement, seul triangle avant compatible avec des barres de flèche droites, mais d’agrandir un peu la grand-voile par le haut et par le bas. La têtière sera plus haute de 50 cm, le vît-de-mulet plus bas de 10 cm. Cette formule permet d’utiliser le profil S180 proposé par le bureau d’études Sparcraft. 3,30 kg/m, soit un peu moins que l’ancien, mais suffisamment d’inertie pour se contenter de barre de flèche quasi dans l’axe (4° d’angulation) qui ne nécessitent pas de déplacer les cadènes. On devrait avoir une barre un peu plus parlante avec cette grand-voile boostée et ce ne sera pas un mal : avec le gréement d’origine, elle est très neutre, voire carrément molle dans le petit temps. Ce choix étant fait, reste à entrer dans le détail du plan de mât avec le bureau d’études Sparcraft. C’est Hugues Sérazin, l’un des ingénieurs du BE, qui va le dessiner sur la base de notre cahier des charges. Il restera fidèle au dormant dit « cathédrale », avec un seul étage de barres de fl èche mais deux ancrages supérieurs et une paire de câbles intermédiaires dans la partie haute du mât, entre les barres de flèche et la tête. Le mât est assez simple, sans rétreint, mais Hugues se fend quand même d’une jolie potence en tête qui peut autoriser une grand-voile à fort rond de chute. Une perspective qui nous enchante ! Voir naître sous nos yeux le mât qui va donner une nouvelle vie au Super Arlequin est uneprofonde satisfaction. C’est toute la différence entre la rénovation cosmétique d’un vieux bateau et un vrai refit : on se projette et on investit sur l’avenir, de telle sorte que le Super Arlequin sera vraiment un « nouveau » bateau. Et quand on considère l’immensité du parc de bateaux des années 1970 à 90 dans nos ports, on se dit que c’est une démarche qui a de l’avenir ! [caption id="attachment_186095" align="aligncenter" width="500"] Le nouveau mât du Super Arlequin © Voile Magazine[/caption]
Le nouveau mât sera un peu plus léger que l’ancien, mais plus richement équipé puisque nous aurons une gaine électrique dans le profil, et quatre réas en tête de mât au lieu de deux. Pourquoi seulement deux ? Parce que les vieux réas pour drisses en câbles ont été remplacés par des nouveaux pour drisses textiles, mais ils sont plus larges et on ne pouvait en passer qu’un par axe (devant et derrière). Au niveau du pont en revanche, il va falloir trouver une solution pour franchir l’arête du rouf car les réas de sortie de drisses ne sont plus à son niveau mais en pied de mât. Un simple martyr devrait faire l’affaire. (Version PDF téléchargeable ici)

De la conception à la production

Chez Sparcraft, le plan étant validé, on passe à la production qui s’articule en deux étapes. La première se passe à Saint-Vaast-la-Hougue, où je me rends pour assister à la naissance de notre espar. Saint-Vaast, charmant petit port du Cotentin qui évoque davantage ses caseyeurs colorés et ses forts Vauban que l’industrie métallurgique. Et pourtant c’est bien là, dans un bâtiment qui fait face à la mer, que naissent tous les mâts Sparcraft. Mais attention, si vous demandez votre chemin dans le bourg, on vous parlera plutôt de l’usine Isomat... C’est qu’on a la mémoire longue dans le pays : le rapprochement d’Isomat et Sparcraft date de 1992, et le rachat par Facnor de l’ensemble, incorporant également France Espars, de 1996. Qu’importe, c’est peu ou prou le même site avec ses trois ateliers correspondant aux trois étapes de la fabrication : l’usinage, la soudure, et l’anodisation. La première équipe, celle de l’usinage, charge sous le pont roulant un profil stocké sur le terrain attenant. Ces profils, réalisés par un fournisseur belge sur un cahier des charges Sparcraft, arrivent à Saint-Vaast à l’état brut. Leur longueur est standard, mais elle dépend du type de profil : pour notre S180, c’est généralement 16 m. La première phase d’usinage consiste donc à couper le profil à la longueur voulue, à savoir 10,90 m. Mais n’imaginez pas un profil sur des tréteaux et un opérateur armé d’une scie circulaire : tout va se passer dans la machine à commande numérique. Christophe Cottebrune, qui la commande, a préalablement programmé cette découpe, mais aussi les altitudes et les coordonnées exactes de toutes les cavités à réaliser sur le profil. Empreinte de la tête de mât, lumières des passages de drisses, découpes pour les passages des barreaux de barres de flèche, les capelages, trous au bon diamètre pour les différentes pièces rapportées (anneau du tangon, prise du hale-bas, etc.)... C’est maintenant la machine qui va travailler tandis que le mât est calé, fermement saisi dans des étriers hydrauliques. Christophe surveille et lance chaque nouvelle opération sur la télécommande. Quelques minutes plus tard, c’est un profil calibré et entièrement usiné qui est extrait de la machine à commande numérique et transite vers l’atelier de soudure. Ici, le travail est plus manuel et concerne principalement le haut du mât. La tête, qu’il faut souder, mais aussi l’éventuel rétreint. Cette réduction de profil dans le haut du mât exige un vrai coup de main : il s’agit de découper deux lames d’aluminium et de prolonger ce biseau d’une sorte de virgule qui permettra de refermer le profil avant de le souder. Pas de rétreint pour notre mât à nous, mais une tête de mât caractérisée par une potence élancée que le jeune Arnaud Leboisselier soude avec application dans l’empreinte ad hoc. L’ajustement des deux pièces est parfait, de telle sorte qu’aucune erreur de positionnement n’est possible. Cela étant fait et bien fait, notre profil, qui commence sérieusement à ressembler à un mât, est dirigé vers le troisième atelier : l’anodisation. Un endroit étonnant où est disposée une série de bains bouillonnants. [caption id="attachment_186097" align="aligncenter" width="500"] Le Super Arlequin de Voile Magazine © Voile Magazine[/caption]

Le mât se satine dans les bains

Sept bains au total, en incluant les bains de rinçage, dans lesquels notre mât va subir pendant environ trois heures une électrooxydation contrôlée et acquérir sa belle finition satinée. Sa fonction n’est pas seulement esthétique mais aussi mécanique, puisqu’elle le protège de la corrosion dans la durée. Les différentes solutions comportant différents acides (nitrique, sulfurique, oxalique) sont chauffées à 65° pour certains et agités par injection d’air, façon jacuzzi, avec bouillonnements et vapeurs sulfurées à la clé... Ambiance garantie ! Et la chimie agissant, le mât arrivé à l’état brut, encore tout enduit de l’huile projetée dans la machine d’usinage numérique, ressort de l’atelier avec une peau de bébé et propre comme un sou neuf. Une fois conditionné, il est prêt pour un nouveau voyage à destination de La Rochelle, Périgny plus précisément où il va être équipé de toutes les pièces indispensables à son utilisation : les réas, les barres de flèche, le pied... et bien sûr le gréement dormant avec ses ancrages. Tout cela se passe dans un site beaucoup plus spacieux où sont réalisées des opérations assez complexes. Car notre mât à nous est tout petit en comparaison des espars qui sortent de l’usine de Périgny, et très simple dans son ingénierie. On voit ici des bômes canoë de 8 m de long, des mâts incorporant des enrouleurs motorisés... Un autre monde. Il faut donc savoir tout faire, de l’électronique au matelotage en passant par la peinture, et stocker toutes les pièces d’un vaste répertoire. Raison pour laquelle une partie non négligeable du site de Périgny est occupée par un magasin aux innombrables travées. C’est un métier qui exige des compétences multiples, et une planification rigoureuse des opérations. Surtout quand les crises industrielles et géopolitiques mettent à mal la fameuse supply chain, comme ce fut le cas pendant les années post-Covid. Un cauchemar pour les clients qui ont vu leurs délais s’allonger, un très mauvais souvenir aussi pour des fournisseurs comme Sparcraft qui ont dû composer avec des approvisionnements chaotiques. Les choses sont aujourd’hui rentrées dans l’ordre, tant mieux pour la filière, et tant mieux pour le mât de notre Super Arlequin qui est enfin prêt à être expédié à l’INB ! 10,90 m d’aluminium et d’expertise qui vont vraiment donner une nouvelle vie à notre bateau. Vivement la Rubi’s Cup, fin juin... C’est là qu’on l’étrennera, avec espérons-le de nouvelles voiles. Mais c’est une autre histoire qu’on vous racontera une prochaine fois !

Combien ça coûte ?

Mât 4 440 €
Bôme 890 €
Gréement dormant 2 050 €
TOTAL TTC 7 380 €

Retrouvez l'histoire de notre Super Arlequin sur Voile & Moteur

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