Les Lagopèdes traversent les Cerces !
Le gros avantage des trajets en mode doux, c'est d'envisager un lieu d'arrivée différent du lieu de départ. Cela ouvre la porte à des traversées de massif avec changement de vallée d'accès. Et ça laisse la porte ouverte à finalement ne pas traverser. Mais ça c'était l'an dernier. Après la deuxième tentative, les Lagopèdes ont traversé les Cerces.
Départ mercredi midi, enfin ça c'était le plan initial en comptant sur un train Lyon/Grenoble. Il s'avère que des travaux sont programmés entre Saint-André-le-Gaz et Grenoble de 10 h à 14 h,. Bref, juste pour nous. Et hop, solution de secours, le Flexibus depuis Perrache, un peu avant midi. Ce petit décalage chamboule un brin l'organisation : départ plus tôt, d'une autre gare... Certains Lagopèdes arriveront bien échauffés suite à un petit sprint en claquettes chaussettes pour aller trouver un Vélov à une deuxième station, la première étant vide, et traverser Lyon avec skis sur sac jusqu'à Perrache. Le bus est hyper confort, un vrai sas de repos après l'agitation matinale. Arrivés à Grenoble, petite correspondance ravito et c'est reparti pour un autre bus direction Briançon. Sieste, lecture, contemplation, nous remontons la vallée de la Romanche, passons le col du Lautaret et descendons au Lauzet nous installer au gîte. Une Lagopède qui a oublié ses chaussettes part en excursion au Mônetier-les-Bains. Pas de voiture ? Pas de problème, en stop à l'aller et au retour, en un rien de temps, là voilà revenue avec des chaussettes. Pendant ce temps, le groupe s'initie à la nivologie avec le jeu des 4 familles de grains de neige. Ensuite, le co-encadrant Lagopède montre la méthode de Cartographie Systémique des Vigilances, une préparation collaborative et schématique de la sortie du lendemain. La morbiflette du Lauzet vient compléter les réserves nécessaires à l'aventure, tout est paré pour le raid de 4 jours à ski.
Jeudi matin, les Lagopèdes entament leur migration à ski vers le nord, cap sur la destination finale, la Maurienne. Gonflée à bloc en ce début d'aventure prometteuse en chaussettes neuves, la Lagopède de tête mène le petit groupe d'un bon pas. Il faut dire que, passés les petits balcons ensoleillés au-dessus de la Guisane, le défilé venteux et les pentes à l'ombre n'incitent pas à de grandes pauses. Le col de l'Aiguillette est vite atteint, le soleil est retrouvé. Avec en prime, tous les Ecrins à portée de main. La croupe terminale est gravie en affinant sa maîtrise des cares des skis pour une bonne adhérence. En particulier pour se hisser au sommet entre deux corniches. Un coup d'œil sur notre préparation collective : conditions et groupe conforme à l'attendu, timing impeccable. Un autre Lagopède nous embarque pour la descente au refuge du Chardonnet. Un replat à traverser, position envol du Lagopède... les autres suivent l'exemple et montrent leur plus beau ski de descente. S'ensuit une pause pique-nique et café sur la terrasse du Chardonnet avant le nouveau jeu qui nous attend : la grosse poudre bien conservée dans les mélèzes en versant froid. Les Lagopèdes rebondissent entre les branches, les souches et les troncs, avec des pépiements joyeux. La Clarée est ralliée et les bords de rivière scintillant de givre offrent une ardoise pour tracer les ondes d'un DVA (et mieux comprendre ces appareils). Dernier repeautage et dernière remontée, le refuge du Ricou est gagné pour le goûter débriefing. Ensuite, les Lagopèdes tracent, sur papier, la haute route pour aller au refuge des Drayères en traversant deux sommets, le Pic du Lac Blanc et le Rocher de la Grande Tempête. Il ne reste plus qu'à imaginer les alternatives en cas d'intempéries (vent fort annoncé), manque de visibilité (voile annoncé), neige ventée en face nord trop instable ou énergie du groupe consommée. Cela tombe bien, à chaque étape, il existe une voie de sortie : un passage en fond de vallée plus facile.
Vendredi matin, tout le monde est efficace, fin prêt à l'heure prévue, sauf... une chaussure de ski qui se trouve être remplie d'eau. Belle surprise matinale. La chaussure est vidée, le chausson essoré, épongé, re essoré, essuyé... tout est mis en œuvre pour assécher au maximum cette chaussure avant de passer une journée à l'extérieur par températures négatives. Ce n'est pas idéal mais le Lagopède malchanceux ne fera pas splouch splouch à chaque pas. Nous partons dans le vallon des Guardioles, menés par la Lagopède pilote qui expérimente le choix de la trace optimisée, secondée de ses adjoints carto. Elle apprend à ôter les cales pour faire une trace économique et efficace et éviter de déposer son groupe en montant droit dans le pentu. Après un regroupement tactique à l'abri du vent dans une roture, nous profitons d'une croupe relativement enneigée pour atteindre le Pas du Lac Blanc. La neige dure dans la pente est l'occasion de sortir les couteaux, non sans quelques appréhensions pour certains Lagopèdes. Arrivés sur la crête, il s'agit de slalomer entre les rochers, positionner ses skis, qui paraissent tout d'un coup très longs, sur les confettis de neige. Après ce beau parcours aérien, le Pic du Lac Blanc est atteint. Le vent présagé à 3000 m est bien là, et le voile nuageux annoncé est bien présent mais à notre altitude. A travers les brumes, nous descendons prudemment en face nord ouest en zigzaguant entre les zones de cailloux dégarnis et les zones d'accumulation. Une petite poudre légère nous accueille agréablement dans les combes à l'abri du vent. Au point de décision planifié à 2500 m, nous jouons au jeu "stop ou encore". Au choix : faire la deuxième traversée dans le vent glacial par le col de la Tempête ou descendre rejoindre la vallée de la Clarée. [Astuce : il y a un indice dans les noms.] Les limites de certains gros gants et doudoune étant proches et n'ayant pas signé pour un cycle Commando, les Lagopèdes skient les bords joueurs du vallon de la Cula en retrouvant quelques arbres. La vallée de la Clarée est remontée aisément jusqu'au refuge des Drayères. La petite routine se met en place : goûter bilan, douche froide (pour certains), petit jeu sur les situations avalancheuses typiques et organisation de la sortie du lendemain. Le programme est plus modeste vu les conditions météorologiques prometteuses : vent fort, neige, montagnes bouchées. L'itinéraire est finement élaboré avec azimuts à la clé.
Samedi matin, nous nous préparons comme pour une sortie extra véhiculaire de la Station Spatiale Internationale : capuche, casque, masque, gros gants, buff autour du cou, buff sur les oreilles, buff sur le nez (oui certains en ont plusieurs). Pas un millimètre de peau n'est exposé aux éléments. Un Lagopède au briefing avait dit qu'il avait hâte de voir. Et bien il n'a pas été déçu ! Dans une visibilité moyenne mais pas si pire (jour blanc), la feuille de route est suivie : azimut 50° puis traversée du torrent de Brune avant le ravin qui se creuse, azimut 70° en parallèle du lac Long et du lac Rond. La progression du groupe se fait à l'aide de jalons : à chaque instant un Lagopède sert de point fixe pour garder un repère sur la droite à suivre. L'organisation de groupe se met en place : un Lagopède ouvreur explore la trace à courte distance, un deuxième devient jalon fixe quand le jalon précédent le positionne à l'aide du langage bâtons (3 mots : à droite, à gauche, stop). Des points réguliers balisent notre avancée : vérification de l'horaire, des conditions, de la forme des participants, du plaisir. Contents de l'exercice (si si), il est décidé de poursuivre jusqu'au lac des Muandes. Et là, un vent de face intense et continu nous décoiffe dans le fond du vallon. La notion de plaisir devenant plus limitée, nous optons pour le retour maison. Requinqué par le pique-nique au chaud au refuge, une deuxième sortie extra véhiculaire, plus courte, est effectuée. Cette fois-ci, il s'agit d'un exercice de recherche avalanche en groupe à proximité du refuge. Enfin, pour la préparation du dernier jour du raid, les Lagopèdes prennent leur envol et élaborent tout seul un itinéraire avisé, avec les passages clés, les points de décision, les alternatives et conditions associées, les horaires avec le bus à Valloire à la clé.
Dimanche matin, c'est parti pour parachever cette belle traversée des Cerces et passer du côté nord du massif, en Maurienne. Contrairement aux apparences, il ne s'agira pas du côté obscur, bien au contraire. Les conditions sont plus clémentes que la veille : pas de vent, des éclaircies à travers les nuages. L'approche de Roche Château est agréable, efficace et esthétique... De belles lumières transpercent les nuages et dévoilent les 10 cm de neige fraîche de la veille. Les sommets autour jouent à cache-cache derrière les brumes. A mi pente, nous rattrapons les nuages ou bien ils nous rattrapent, on ne sait pas vraiment. L'avenir semble un peu moins prometteur et l'alternative envisagée (redescendre et faire le tour) se rapproche. Cependant, le timing est encore large, la neige bien stabilisée en versant sud, ça vaut le coup de tenter et d'aller voir. Les Lagopèdes passent alors du mode "colonne" (un Lagopède trace et les autres suivent tranquillement en prenant des photos) au mode "déploiement des jalons volants"? Une super coordination position GPS et azimuts à la boussole permet de monter efficacement dans le blanc. Un premier Lagopède gère la trace fine en suivant les indications globales d'un deuxième Lagopède qui fait jalon et, en parallèle, fixe le prochain jalon. Les relais se passent aisément : quand un souhaite une petite pause, boire un coup, remettre une veste, hop jalon fixe. Une belle chorégraphie synchronisée dans le voile épais entre ciel et neige. L'impatience du Lagopède de tête rend la trace un poil raide pour une économie d'énergie mais a le mérite d'être directe. Ah ! on entraperçoit le sommet, déjà ? Au pied de Roche Château, les nuages se font moins denses, la lumière n'est pas loin. Nous sortons les couteaux pour les derniers mètres plus aériens. Dernier effort et nous nous faisons cueillir par le vent au sommet. Le temps de dépeauter et nous nous retrouvons gentiment plâtrés par la neige volante. Les nuages sont très joueurs et nous offrent de beaux tours de magie : et top apparition du Mont Thabor sur fond bleu et... disparition. Et top, apparition Aiguille d'Arves de l'autre côté et... disparition. Il faut être au taquet en correspondance carte paysage pour identifier qui et qui... ou déjà bien connaître le coin. Non sans hésitation dans des conditions tout à fait optimales pour une prise de décision sereine, nous optons pour la descente côté ouest qui présente quelques incertitudes (de visibilité et de stabilité de la neige). Le co-encadrant Lagopède nous ouvre la voie dans les langues de neige entre cailloux, puis à pied dans les cailloux dans un passage pelé par le vent. La visibilité reste finalement bonne et nous permet d'éviter les zones à risque d'accumulation. En descendant, nous quittons les nuages accrochés aux sommets derrière nous et nous plongeons dans la combe de la Valette. Côté Maurienne, pas un nuage, l'Aiguille Noire est majestueuse, le bleu du ciel est étincelant. Une partie de la Meije se faufile entre deux pointes. Nous glissons dans le vallon de la Neuvachette et atteignons les pistes de Valloire non sans effort avec la traversée de deux replats. Certains Lagopèdes y laisseront quelques plumes. Arrivés à Valloire, nous tentons du stop pour arriver plus tôt en gare de Saint-Michel-de-Maurienne et attraper le train direct pour Lyon. Plusieurs stratégies sont élaborées (dont "je fais du stop en chaussettes pour faire moins peur qu'en chaussures de ski"). Finalement, en 35 min, les 8 Lagopèdes et leurs skis sont chargés dans 3 véhicules différents (dont un mini van avec tous les skis). Le train nous attend à quai avec ses sièges moelleux... Prochain massif à parcourir, la Vanoise !
Correspondance
Pic de la Moulinière et Clot des Vaches
Ascension en face des Ecrins
Grande Manche
Croupe du Pas du Lac Blanc
Crête direction Pic du Lac Blanc
Préparation sortie extra véhiculaire
Langage bâtons
Cosmonaute
Destination finale
Pointe des Cerces
Roche Château plâtré
Vers la lumière
La Savoie
Ski de fond dans la Neuvachette
Stratégies de chaussures pour l'itinérance en mode doux