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« Je veux voir les athlètes agir »

Lundi 16 Mars 2020 - 11:00

Depuis le titre mondial de Laura Marino et Matthieu Rosset dans l’épreuve du Team Event des championnats du monde de Budapest en 2017, l’équipe de France de plongeon est en quête de voltigeurs pour accompagner Benjamin Auffret, quatrième du tremplin à 10 m aux Jeux de Rio et champion d’Europe 2017 de la spécialité, dans les épreuves internationales. C’est dans cette perspective que la Fédération Française de Natation s’est rapprochée de Hui Tong. Après de longues étapes comme entraîneur de haut niveau au Canada et en Australie, le technicien chinois a rejoint la France en 2018 pour prendre en main le collectif national des plongeurs à l’INSEP.

Hui, qu'est-ce qui vous a décidé à venir entraîner en France ?

C'est une série de choses, très fortes, qui m'ont poussé à sauter le pas et à partir d'Australie pour rejoindre la France. Avant tout, et ce n'est pas à vous que je vais l'apprendre, la France, c'est une histoire riche, longue et intéressante. Dans le passé, c'était probablement le centre du monde. La France, c'est énormément de choses. On pourrait parler de culture, de la Révolution, de beaucoup de choses. La France, dans cette perspective, est différente des autres nations. C'était une priorité, pour moi. Le second critère, c'était les athlètes. Je n'ignorais pas le talent de certains plongeurs français. Matthieu (Rosset), Laura (Marino, aujourd’hui retraitée des plongeoirs, ndlr) et Benjamin (Auffret), le plus jeune. Ce sont ces raisons qui m'ont fait venir. Et puis, il y a autre chose. Comme entraîneur, j'ai toujours envie de poursuivre ma carrière, mon parcours, auprès d'athlètes compétitifs. La France, dans cette optique, m'offrait une belle opportunité. C'était intéressant, même excitant. En outre, je savais ce qu'était l'INSEP parce que les Australiens avaient copié le système français pour leur Australian Institut of Sports (AIS), installé à Canberra. C'est sensiblement la même structure qu'ici : ils ont adapté beaucoup de choses, depuis les années 1980, en s'inspirant de la France, notamment le programme global. Moi, j'ai travaillé pour cet institut pendant seize ans, c'est-à-dire quatre cycles olympiques. Du coup, je savais à quoi m'attendre, notamment pour la formation des jeunes athlètes, ce qu'il faut leur apporter à l'entraînement, la science du sport, tous ces processus. En Australie, je faisais partie du groupe de développement des entraîneurs australiens (ACDG). J'ai visité l'INSEP, en novembre 2001, dans ce cadre-là. C'est pourquoi l'endroit m'est assez familier. Voilà, en somme, les raisons principales de ma venue en France.

N'est-ce pas, cependant, une forme de sacrifice ?

L'immense sacrifice, c'est la famille ! C'est le revers de la médaille. Je communique avec elle par Internet tous les jours (il rit)... Mais comme je l'ai dit, je poursuis ma carrière. Actuellement, ma famille vit à Brisbane, en Australie. Elle y est installée depuis 2001. Avant cette date, toute ma famille était à Calgary, au Canada, où j'avais déménagé en 1990. J'ai travaillé comme entraîneur là-bas pendant dix ans avant de partir en Australie où l'AIS m'offrait un poste. Seize ans plus tard, après une année de break, je suis venu en France.

Après seize ans en Australie, vous aspiriez sans doute à quelque chose de nouveau...

Exactement ! Quand vous venez en France, vous vous apercevez qu'en matière d'art de vivre, beaucoup de choses sont différentes du système anglo-saxon que j'ai pratiqué pendant près de vingt-huit ans. Il me semble que je suis capable de m'adapter rapidement, parce que je suis porté sur l'apprentissage, bien que je conserve mon caractère propre au sein des différents environnements, au travail, dans la vie... Ce sont à chaque fois de vrais défis, mais je pense que je m'en sors vraiment bien.

(KMSP/Stéphane Kempinaire)

La compréhension d'un pays est-elle primordiale pour votre activité professionnelle ?

Oui, absolument ! Cet apprentissage est un besoin, à mon sens. Ce qui est vrai pour tous les sports, je dirais. Comprendre le rythme quotidien. À quel moment de la journée on se met en route, à quel moment on s'arrête de travailler. Ici, c'est différent de l'Australie ou du Canada. On commence plus tard, on termine plus tard. La manière de penser est également différente. Mais au bout du compte, il y a une chose en commun : tous les athlètes veulent gagner ! Peu importe où vous allez : c'est leur objectif principal à tous. Et pour moi, pour poursuivre ce but, il faut comprendre leur façon de penser : ça me permet de m'adapter, ça m'aide à travailler en étant plus proche d'eux.

N'est-ce pas aussi à eux de s'adapter à vos méthodes ?

C'est aussi mon rôle de leur apporter des façons de travailler différentes de celles qu'ils ont connues par le passé. Tous les étrangers qui viennent ici arrivent avec leur propre philosophie d'entraînement et dirigent les athlètes à leur façon. Je me dois de venir comme je suis, avec les croyances qui sont les miennes en ce qui fonctionne, en ce qui est bien pour eux, en ce qui peut aider le programme global. Même si ce dernier ne l'exige pas de moi, je dois me respecter moi-même, je dois apporter quelque chose de différent, quelque chose qui puisse enrichir l'ensemble.

Quel est le style Hui Tong ?

J’ai besoin d'une bonne communication avec les athlètes. Dans cette discipline, la peur fait partie du décor, donc je veux qu'ils me comprennent. Mais parler ne signifie pas, il y a aussi besoin de fermeté. Le changement principal, c'est d'ajouter des heures d'entraînement, tout en demandant aux athlètes de se prendre en main. Il faut qu'ils se posent la question : « Dans quel but suis-je ici ? Quel niveau je veux atteindre ? » Ils doivent vouloir le meilleur. Et pour cela, ils ont besoin de temps. L'assimilation passe par l'échange verbal et par l'entraînement quotidien. Je sais que la langue est une barrière. Je sais que mon anglais n'est pas bon, que je dois aller doucement, qu'on doit arriver à se comprendre, que mon message doit transiter. Ce dernier passe par le fait de travailler dur. Dans une compétition, on ne sait jamais ce qu'il va se passer. Il faut que l'athlète soit convaincu qu'il peut donner le meilleur à chaque passage. À chaque entraînement. À chaque plongeon. Ce qui nécessite de la concentration, de la conviction. C'est la partie mentale et cet aspect demande du temps. Le but, c'est que les plongeurs soient à l'aise avec ce discours. A côté de cela, il y a bien sûr le travail physique.

(FFN)

En quoi consiste-t-il ?

Augmenter la répétition pour s'améliorer. En ce moment, nous nous confrontons à la dureté de ce sport. Selon le niveau que vous souhaitez atteindre, la carrière que vous souhaitez embrasser, vous devez comprendre l'investissement personnel que cela demande. Pour moi, c'est un travail de professionnel. Les jeunes sont enthousiastes, ils ont du talent, mais ils ne savent pas ce que la discipline implique sur les plans mental et physique. Mon job, c'est de gérer cela. De les aider à sortir par le haut de leur zone de confort, à se lancer des défis à eux-mêmes. Parfois, les résultats ne viennent pas et pourtant vous êtes fatigué. C'est source de confusion. Et c'est là que le travail d'explication du coach entre en jeu. Je suis ravi qu'à l'INSEP l'environnement permette cela.

Comment s'est déroulée l'adaptation entre le coach et ses athlètes ?

La première année, il a fallu que je sois prudent parce que nous n'avons pas un gros réservoir, ni chez les bons, ni chez les moyens. Si j'avais poussé trop fort sans m'expliquer cela aurait provoqué un découragement. J'ai donc expliqué d'où je venais, quelle était ma philosophie et ce que j'attendais. On a procédé en douceur pour pouvoir être plus exigeant ensuite. Techniquement, au quotidien, je suis toujours exigeant, mais sur l'ensemble du programme, j'ai été plus cool. Ce n'est pas difficile parce que je m'y étais préparé. Nous sommes de très bons amis avec Gilles (Emptoz-Lacote). Je le savais avant de venir, mais il m'a conseillé de faire attention aux plongeurs parce qu'ils ne sont pas nombreux. Alors j'ai donné un peu de liberté aux athlètes. Ils me connaissaient, mais ils n'avaient jamais travaillé avec moi. Ils ne savaient pas exactement à quoi s'attendre. Maintenant que ma seconde saison est en cours, on avance avec les jeunes, on demande davantage. L'année olympique me donne une raison d’accentuer l'aspect compétitif dans tous les domaines.

Qu'imaginez-vous pouvoir accomplir avec les plongeurs français ?

Avant de venir, je savais que la France comptait des plongeurs spéciaux, comme Benjamin (Auffret). Je savais que c'était un grand talent, mais je ne savais pas quelle était la structure derrière lui. Le descriptif du poste comprenait le développement de tout le programme français, mais en arrivant ici, je me suis aperçu que ce n'était pas ce sur quoi je pourrais agir le plus. Ce que me demande la fédération, actuellement, c'est de me concentrer sur le haut niveau, l'entraînement, la compétition, pour aider ceux qui y sont à améliorer leurs performances. C'est l'objectif prioritaire. Il y a, bien sûr, une inertie du système pour de nombreuses raisons, et d'abord le manque de piscines. Comment voulez-vous appliquer un programme et des idées sans équipements ? C'est difficile. Si vous avez des piscines, vous avez des entraîneurs et vous pouvez trouver des plongeurs. C'est pourquoi, dans ce domaine, je ne la ramène pas. En ce qui concerne le groupe actuel, il dépend d'une personne : Benjamin. Si Benjamin fait une médaille, tout le plongeon français avance et apparaît dans le premier peloton mondial, celui qui décroche des médailles. Sinon, il faut apparaître davantage dans des finales. Dès lors, vous êtes dans le deuxième peloton. C'est ainsi que s'élabore le classement dans cette discipline. Mon objectif est donc double : d'une part, aider Benjamin à décrocher une médaille, à améliorer son meilleur score et son niveau. Il a la pression, comme tout athlète performant, et il s'agit de l'aider à gérer ça. D'autre part, tracer une voie rapide vers de meilleurs résultats et de meilleures performances, dans le courant de l'année, pour ceux qui sont dans son sillage.

En pensant à 2024...

J'espère, en effet, qu'en 2024, à l'occasion des Jeux à la maison, les résultats seront meilleurs que jamais.

(KMSP/Stéphane Kempinaire)

Faut-il absolument, pour cela, que tous les athlètes soient réunis dans un seul lieu ?

Il me semble que dans le système actuel, c'est mieux, oui, parce que nous n'avons pas énormément de ressources. Par « ressources », j'entends des piscines adaptées, de bons entraîneurs et une équipe de scientifiques derrière les sportifs. Si les athlètes sont trop isolés, il n'y a pas la même émulation à l'entraînement. Tous ensemble, on peut s'aider.

Comment a évolué votre façon d'entraîner au fil des années ?

C'est une bonne question (il réfléchit)... Comme athlète, tout mon apprentissage a eu lieu en Chine. Comme entraîneur, même chose. Deux ans, à peine, comme entraîneur national des juniors avant que je quitte le pays. Mais c'est au Canada, ensuite, que mes facultés d'entraîneur se sont développées. C'est ainsi que j'ai pu m'occuper de la très haute performance en Australie. J'ai bien conscience que le système chinois est gravé dans ma tête et que je ne le zapperai jamais. J'ai beaucoup parlé technique avec les coaches chinois actuels pour me tenir à jour sur leurs méthodes. Le Canada, l'Australie, tout le monde parle anglais, mais la mentalité est différente. En Australie, les sportifs sont adorables, ils dédient leur vie au sport. Ce sont des passionnés, des fous de sport et ils en veulent toujours plus. Ils peuvent tout sacrifier pour cela, la famille, tout. Les plongeurs canadiens sont bons aussi, mais avec une autre mentalité. Ça m'a fait réfléchir. Il a fallu que je m'adapte, mais en insistant sur ce que j'estimais bon. Les méthodes d'entraînement sont plus ou moins les mêmes dans tous les pays, mais la différence, c'est la façon de les appliquer.

Dans quelle mesure avoir été vous-même un plongeur vous aide-t-il ?

C'est important pour un entraîneur. Avoir été en compétition aide à bien coacher parce que vous savez vous y prendre avec l'aspect psychologique, la peur ou le stress. La première fois que vous concourez, vous êtes bon, vous n'avez pas de pression. « Je suis jeune, j'y vais. » Mais une fois que vous avez fait un résultat, les gens vous connaissent, leurs attentes grandissent, les médias s'intéressent à vous et ça influe sur le mental. Un ancien athlète a cette expérience et peut expliquer cela à ses élèves pour l'entraînement comme pour la compétition. Il sait comment communiquer avec eux. C'est un avantage et je me sens à l'aise avec cela. Quand vous voulez absolument quelque chose, vous allez ouvrir votre esprit, vos yeux et vos oreilles. Vous allez m'écouter au maximum. Je partage mon expérience, ma confiance, je vous donne des informations, je vous assiste, mais mon travail, c'est aussi de construire votre confiance en vous-même pour que vous puissiez prendre votre propre décision en compétition. Le plongeur est seul avec lui-même. Il n'y a pas d'équipe. C'est pourquoi, à l'entraînement, je veux voir les athlètes prendre leurs décisions. Qu'ils agissent et me montrent leur dynamique.

Le public français imagine volontiers que les succès chinois sont dus, pour une large part, aux longues heures d'entraînement. Qu'en est-il vraiment ?

Les heures d'entraînement sont importantes, mais adaptées à l'âge de l'athlète. S'entraîner sans but, sans désir propre, ça n'a pas grand sens. Devenir un compétiteur complet nécessite plusieurs composants. En Chine, l'aspect scientifique aide les athlètes à renforcer leur compétitivité. Bien sûr, derrière les bons résultats, il y a un travail très dur. C'est comme pour le football en France. Il y a tellement de monde qui joue que, si vous loupez quelque chose, on vous remplace !

Recueilli par David Lortholary

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