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Le cycliste Guillaume Martin: « L'échec suscite l'inspiration »

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Le cycliste Guillaume Martin: « L'échec suscite l'inspiration »

Titulaire d’un master de philosophie, êtes-vous d'abord coureur ou philosophe ? 90 % de mon temps est consacré au vélo. Beaucoup de gens ont un master de philosophie sans pour autant être philosophes. Dans mon parcours, j'ai la chance de pouvoir pratiquer ma matière avec des écrits et des publications.

Alain et Nietzsche sont vos philosophes références. Qu'appréciez-vous chez eux ?Alain a été mon introduction à la philosophie. Je l'ai parcouru dès le collège à la faveur d'une dictée. Puis, mon père a dû me proposer un livre qui parlait du bonheur. Cela m'avait marqué, car ses considérations étaient très concrètes sur la vie de tous les jours. J'ai retrouvé la même approche chez Nietzsche parlant de la nature, de la cuisine méditerranéenne…, On est loin de Kant et de sa Critique de la raison pure !  

Quel lecteur êtes-vous ?J'ai des gouts très variés. J'ai tellement lu des livres de philosophie durant mes études que je me suis rattrapé... Dernièrement, j'ai lu un roman, Lorsque le dernier arbre*, de Michael Christie. J'aime beaucoup Haruki Murakami, un auteur japonais qui mêle la réalité et le fantastique. J'adore aussi les BD, dont Astérix qui m'a accompagné dès l'enfance. 

"C'est souvent après un échec que l'inspiration me vient. Sans doute une échappée où je suis parti seul, laissant le peloton avant de me faire rattraper. En réalité, on devrait tous coopérer pour réussir son but. C'est avec ce raisonnement que l'idée du livre a germé."

Comme dans Astérix, votre livre, La société du peloton, décrit le milieu cycliste comme "un petit village gaulois", avec ses codes, ses rites, ses acteurs, ses premiers, ses derniers. Comme un miroir de notre société. Avez-vous eu l'idée de cet ouvrage en montant un col ?C'est souvent après un échec que l'inspiration me vient. Sans doute une échappée où je suis parti seul, laissant le peloton avant de me faire rattraper. En réalité, on devrait tous coopérer pour réussir son but. C'est avec ce raisonnement que l'idée du livre a germé. 

Le cyclisme est à la fois un sportif collectif et individuel, car le gagnant ne peut décrocher la victoire sans les autres. C'est tout le paradoxe.C'est le sujet de mon livre. Ce sport individuel pratiqué collectivement correspond exactement à ce qui se passe dans la société. On est à la fois des "individus individualistes" et des êtres insérés dans un collectif. Souvent, on agit différemment, parce qu'au moment d'une décision nos intérêts immédiats et personnels reprennent le dessus. C'est aussi passionnant et le sport peut être une ressource pour analyser le phénomène. 

"Vu de l'extérieur, on a parfois l'impression que le cyclisme est uniquement une force brute. En fait, c'est aussi tout un système tactique qui permet de gagner sans être forcément le plus fort."

Nietzsche a quand même dit : "Veux-tu avoir la vie facile, reste toujours près du troupeau et oublie-toi en lui."C'est la tentation de beaucoup de gens de se fondre dans le collectif. Est-ce encore possible à notre époque ? On sait désormais que l'individu a vraiment un pouvoir, s'exprimant notamment à travers les réseaux sociaux. Chacun d'entre nous peut être un influenceur, devenir une "star" très vite. Le quart d'heure de notoriété warholien est, plus que jamais, à la portée de tous. Cette tension est patente.

Être "le philosophe du Tour de France", classé huitième lors de la dernière édition, est-il une manière de vous démarquer ?Je ne crois pas, car il y a des personnalités fortes et différentes dans le cyclisme. Je n'ai pas un besoin de me démarquer, n'étant pas un Ovni dans le peloton. Il y a un respect des diversités. 

Vous cassez un peu la caricature du cycliste ayant tout dans les jambes et rien dans la tête ? Je l'avais déjà démontré dans mon précédent ouvrage, Socrate à vélo. Vu de l'extérieur, on a parfois l'impression que le cyclisme est uniquement une force brute. En fait, c'est aussi tout un système tactique qui permet de gagner sans être forcément le plus fort. De plus, il y a divers types d'intelligences. Par le passé, des coureurs, qui n'avaient pas fait beaucoup d'études pouvaient être mal compris en s'exprimant dans les médias. Ce n'est pas parce que l'on n'a pas les mots que l'on n'a pas le raisonnement derrière. Dans notre société française, le système éducatif favorise une certaine forme d'intelligence, aux dépens d'autres. Alors que les matières scientifiques sont mises en valeur, tout ce qui est manuel n'est pas aussi bien loti. 

Dans une société visant parfois le "toujours plus", le dopage dans le sport comme ailleurs n'est-il pas inévitable ?La triche, c'est un excès de notre société capitaliste. Si je rejette le dopage, c'est d'abord d'un point de vue métaphysique. Une société qui s'autorise à se doper n'est plus crédible, ne tient plus. Si on s'affranchit des repères, on tombe dans un nihilisme absolu qui est totalement effrayant. 

N'empêche, le dopage est régulièrement évoqué dans le cyclisme.Au moment de l'affaire Festina, j'avais 5 ans et à peine plus lorsque Lance Armstrong gagnait le Tour. Aujourd'hui, on tape facilement sur le cyclisme, par rapport à une réputation qui s'est construite il y a 20 ou 30 ans. Il y a sans doute encore des tricheurs, mais le poids du dopage est moindre que par le passé. Sinon, je n'aurais pas pu me classer 8e au dernier Tour. 

"Mon discours est plutôt apolitique. Libéralisme ou protectionnisme, je me garde bien de trancher, car ce débat est un peu dépassé. Pour moi, ce n'est pas une idéologie qui réglera tous les problèmes. Je pense même qu'il est même trop tard sur certaines choses, comme l'environnement."

Vous déplorez "une démocratie qui se meurt", "un climat qui se détraque", "une info anarchique", … On croirait presque le constat d’un homme politique aspirant à un mandat. Prêt pour cette course-là ?Il ne faut jamais dire jamais ! Mais je suis assez critique à l'égard de la politique actuelle. Je reste assez pessimiste et j'ignore si j'aurais assez d'énergie pour me lancer là-dedans. Mon discours est plutôt apolitique. Libéralisme ou protectionnisme, je me garde bien de trancher, car ce débat est un peu dépassé. Pour moi, ce n'est pas une idéologie qui réglera tous les problèmes. Je pense même qu'il est même trop tard sur certaines choses, comme l'environnement. Je penche davantage pour une adaptation à un contexte. 

Serez-vous prof de philo dans votre après-vélo ?Je ne crois pas, mais je continuerais à écrire. J'ai une activité parallèle en Normandie avec mes parents qui possède des gîtes en Normandie. 

Un retour à la nature ?C'est là que j'ai grandi, au milieu des animaux. C'est une vie qui me convient bien. 

*Lorsque le dernier arbre (Albin Michel) est un roman faisant un lien entre les aléas d'une famille, avec ses secrets et mensonges, et le sort d'une forêt. 

La société du Tour de France, philosophie de l’individu dans le groupe. Guillaume Martin. Prix : 17,90 €.

Olivier Bohin

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