Seule survivante d'un accident d'avion, Dorine Bourneton a retrouvé sa liberté en volant
L’histoire ne commence pas dans le ciel mais sur les routes sinueuses des monts du Livradois-Forez, entre Loire et Puy-de-Dôme, de Thiers à Noirétable. Voilà le paradis terrestre de l’aviatrice Dorine Bourneton. Là où elle est née et se ressource. Voilà aussi le circuit quotidien de son père. « Il était chauffeur de taxi et ambulancier. Il s’abrutissait sur ces routes. Il était surtout passionné d’aviation et avait toujours rêvé d’être pilote, mais ce n’était pas écrit dans l’histoire de la famille. Un jour, il a franchi le pas et s’est inscrit à l’aéroclub d’Auvergne, à Aulnat, juste à côté de Clermont-Ferrand. Mon frère n’a pas souhaité l’accompagner. Je me suis vite invitée dans la discussion : “Moi j’en suis capable!” »
Une âme d'exploratriceSon père a donc commencé à lui raconter l’histoire des pionniers de l’aéropostale. Autant de modèles. « Je voulais une vie d’aventure, faire des explorations, aller à la rencontre des autres, aller là où personne n’était jamais allé. Le rêve de tous les gosses certes, mais je sais aujourd’hui que j’ai vraiment une âme d’exploratrice et de pionnière, nourrie justement par les mots de mon père. Il m’expliquait, par exemple, que je pouvais être la première femme pilote de Canadair. J’avais tout ça dans la tête. » Dorine Bourneton prend des cours et pilote en solo dès l’âge de 15 ans.
Seule survivante de l'accidentEn 1991, alors âgée de 16 ans, elle est passagère dans un avion de tourisme confronté à de mauvaises conditions météorologiques en survolant la Haute-Loire. Il s’écrase sur le mont d’Alambre. Tout devient plus compliqué Dorine Bourneton est la seule rescapée de l’accident. Très grièvement blessée, elle perd définitivement l’usage de ses jambes. Paraplégique. Ce n’est pas la fin de l’histoire. Elle a repris les commandes d’un avion jusqu’à devenir la première femme handicapée pilote de voltige au monde. Elle s’est aussi engagée en faveur de la professionnalisation des pilotes handicapés dans l’aviation civile, étant même à l’origine de l’arrêté ministériel ouvrant aux personnes handicapées l’accès à la licence de pilote professionnel.
Tout est plus compliquéDorine Bourneton voulait une vie d’aventure. Elle l’a eue. « J’avais ça en moi, c’est sûr. Mais l’accident a été un catalyseur parce qu’il faut se dépasser tout le temps. On n’a pas le choix. Pour exister, il faut prouver, argumenter, convaincre plus que les autres. Tout est possible mais tout devient plus compliqué. Il faut juste aller le chercher ce possible. Après l’accident, je ne savais pas du tout où j’allais. Je volais à vue. Je savais juste que, ayant déjà piloté des avions auparavant, il fallait que je continue. Je savais ce que la pratique du pilotage allait m’apporter pour me reconstruire. Alors bien sûr c’est inachevé, mais on a pas mal avancé. » Et plus que le simple - et déjà extraordinaire - fait de voler, Dorine Bourneton a opté pour la voltige.
Prise de risque maximum« Je suis devenue quelqu’un d’autre grâce à la voltige. Vous êtes là vraiment dans le dépassement. Il faut du courage, de la persévérance, pour évoluer en permanence bien au-delà de sa zone de confort. La prise de risque est maximum. Je sais ce que c’est que d’avoir un accident, je sais que ça n’arrive pas qu’aux autres. Donc, il faut avoir confiance en son avion, en son équipe, en soi-même. C’est tout cela qui vous refrabrique de l’intérieur. C’est extraordinaire. Et en même temps, il y a beaucoup de maîtrise de soi et la nécessité de se remettre en question parce qu’à chaque atterrissage, on peut encore se planter. C’est ce que j’aime. Chaque vol est différent, c’est un nouveau voyage. »
Dorine Bourneton , au sommet du puy de Dôme
Rigueur et poésieMais piloter n’a pas suffi. Il a fallu écrire, « parce que la pensée se structure quand on écrit. Après l’accident, je n’avais pas les mots pour dire combien j’avais mal. Je souffrais beaucoup de ça. Ma pensée n’était pas claire, c’était une impression forte mais diffuse. Comment guérir quand vous ne pouvez pas nommer votre mal?? » Dorine Bourneton n’avait cependant aucune expérience d’écriture. Juste ce souvenir… « Ado, je voulais devenir pilote et écrivain, même si je ne savais pas aligner trois phrases. Je me suis dit qu’écrire c’est comme un entraînement. Et de toute façon pour être un bon pilote, il faut de la rigueur et aussi de la poésie ».
Pas de saint-nectaire à Tokyo ?De l’envie certes, mais il fallait un déclic survenu - peut-être - dans l’absence inconcevable d’un morceau de saint-nectaire au buffet matinal d’un hôtel tokyoïte. « J’étais de jury au Japon, pour une compétition de voltige. C’est le choc des cultures. Rien n’est comme en Auvergne. Moi pour mon petit-déjeuner, j’avais envie de tartines, de fromage et de saucisson. Je me retrouve devant du poisson et du chou cru… J’ai vraiment paniqué. J’en ai même fait des cauchemars. Ça pourrait être ridicule, mais je me suis bel et bien réveillée avec une obsession : “Tu n’as pas dit à tes parents, à ceux que tu aimais, tout ce que tu avais à leur dire. Il faut vite le faire, tu peux mourir demain”. » Et c’est ainsi qu’a paru en 2002 (aux Éditions Robert Laffont) son premier ouvrage, La couleur préférée de ma mère.
Message à ma filleQuant au deuxième livre, Au-dessus des nuages (2015, toujours chez Robert Laffont), c’est le message autant d’une mère que d’une pilote : « Je voulais que ma fille comprenne pourquoi je vole, pourquoi je fais de la voltige où les risques sont décuplés. Je voulais lui expliquer cette passion. Peut-être que cela aurait été moins essentiel sans l’accident, mais il m’a vraiment fait basculer. Je me suis raccrochée à l’aviation. Je dois donner du sens à cet accident. Je dois en faire quelque chose, parce que sinon autant crever moi aussi. »
« Me retrouver face à moi-même, face à mes jambes pendantes dans un fauteuil roulant, il me fallait un défi pour affronter ce handicap. Alors voler, c’était retrouver ce sens et retrouver ma liberté. Sinon, c’est une somme de pourquoi que l’on entasse jusqu’à la fin de sa vie. »
« On n’est pas responsable de ce qui nous arrive mais de ce qu’on fait de ces aléas. Je me suis dit : ” Dorine tu assumes ton handicap, ce que tu es devenue. Tu as envie de voler. Alors tu voles.” »
Réfractaire au linéaireMessage passé auprès de sa fille, de milliers de lecteurs et sans doute bien davantage de téléspectateurs avec la diffusion de l’adaptation de son récit pour la télévision (voir par ailleurs). L’incroyable parcours et la force de caractère de Dorine Bourneton ont séduit TF1 Productions qui l’ont contactée directement pour créer un « un mélange très subtil, très délicat de faits réels et de fiction. Nous avons eu de longs échanges, pour qu’ils puissent sentir ma personnalité et ne pas la trahir. Et je trouve ça plutôt joli et ça respecte effectivement mon message. J’ai ressenti tous ces sentiments, parfois dans des contextes juste un peu différents. »
Au-dessus des nuages Au-dessus des nuages Bande-annonce VF
Mais Dorine Bourneton a bien un petit regret…. comme une forme de déformation professionnelle : « Je n’aurais pas fait le montage ainsi, c’est très linéaire. Et le linéaire, pour un pilote de voltige, ce n’est pas l’idéal. J’aurais aimé un récit avec des échanges entre les époques de ma vie, pour appuyer la tension dramatique. » Le film sera diffusé ce soir lundi 9 novembre mais Dorine Bourneton regarde déjà ailleurs.
Déjà ailleursElle vient de créer l’association Envie d’envol, pour donner la chance à d’autres personnes handicapées de se dépasser en pratiquant la voltige aérienne. Elle va prendre un nouveau poste de responsable Mission handicap à la Banque postale européenne, tout en occupant sa fonction de conseillère municipale à Boulogne-Billancourt. Ça vous emmène parfois très loin, les routes sinueuses du Livradois-Forez.
(Capture Instagram) A L'ECRAN. TF1 diffusera donc ce soir lundi 9 novembre, à 21 h 05, Au-dessus des nuages, une fiction librement adaptée de l’ouvrage de Dorine Bourneton. Vous découvrirez donc le combat de Dorine Bourneton, paraplégique, pour rester femme, devenir mère et pilote de voltige aérienne. « Le handicap ouvre d’autres voies, il ne clôt pas le champ des possibles. Je suis devenue maman, pilote, je donne des spectacles aériens et danse dans le ciel du Bourget ! » explique l’aviatrice, incarnée à l’écran par Alice Taglioni, aux côtés de Aïssa Maïga, Lannick Gautry, Fanny Cottençon, Sam Karmann, Cyril Gueï, Margaux Chatelier, Alex Goude. Jérôme Cornuau est à la réalisation.
Pierre-Olivier Febvret